samedi 23 juillet 2011

Come Into My Heart

           La plage. Le sable chaud sous mes pieds. Le soleil prêt à nous offrir une insolation. Ma vraie mère est là. Elle a l'air d'aller bien, d'aller mieux. Ses cernes ont disparu, elle a pris du poids. Elle n'est plus le cadavre junkie adepte de la sodo', rôle qu'elle connaissait si bien. Elle bronze, se prélasse tranquillement, me sourit.
Moi, je construis un château de sable. Une brute s'approche pour le détruire et ma mère me défend.

(Attend deux secondes, ta vraie mère va bien et a un élan maternel ? Y a pas comme un problème ?)

« Meth... »
Une voix lointaine, presque un murmure. Qui est-ce ?
Je regarde autour de moi, je ne vois rien. Ma mère est toujours là, mais elle n'est déjà plus la maman rayonnante d'il y a quelques minutes. Ses cernes reviennent petit à petit, ses cheveux tombent, son teint devient grisâtre. Elle maigrit à vue d’œil. Elle ne s'arrête plus de maigrir.

« Meth, réveille-toi bon sang ! »
...Axelle ?

Ma mère n'a plus que la peau sur les os, ses jambes se cassent, elle rampe vers moi et tend ses bras. « Viens vers moi, mon fils. »

« Meth, tu vas te réveiller bordel de merde ! »
Donne-moi encore deux secondes, Axelle, putain.

Je regarde ma mère qui n'est presque plus qu'un squelette, les vers la dévorent, mais ses yeux sont toujours dirigés vers moi.
« Ton fils, tu dis ? Tu es et tu resteras une pute qui suce des bites pour du crack. Tu peux crever ma vie ne changera pas. »

« Meth, le prof te regarde. Wake the fuck up ! »
Je me sens chahuté, mes yeux s'ouvrent. Je suis de retour dans ma sordide classe de première. Mon cauchemar était une meilleure alternative à mon goût.

« Bordel Axelle, tu pouvais pas me foutre la paix ? Je dérange personne. »

Elle ne répond pas, elle a l'habitude, elle me connaît. Elle pointe son doigt en direction du tableau. Je ne m'étais pas rendu compte que j'avais crié. M, Zgueg me regarde avec colère. Bof, ce sera pas la première fois, ni la dernière.

(J'ai jamais pu retenir son nom, mais comme il a une tête de gland, son surnom lui va à ravir.)

Il reste silencieux de longues minutes, puis me dit :

« - Meth... Quelle est la réponse à la question que je viens de poser ?
  - Je ne sais pas, je dormais. Donc vous pouvez commencer à me rabaisser qu'on perde pas notre temps et qu'on puisse rapidement vaquer à nos occupations. Vous, « enseigner », et moi, avoir la paix. »

(Tenir ta langue te sortirait de situations bien périlleuses, Meth...)

Il ne dit rien. J'imagine que dans sa vie privée ce doit être la même chose.
Avec une tronche pareille, il doit pas être très intéressant.
Les autres élèves rigolent. Quelle bande de cons immatures. Je passe pour le bouffon de service, alors que je veux juste me faire entendre. Un grand merci pour ma crédibilité.

«  - Silence, tout le monde. Meth, je vais reposer ma question. Que peux-tu me dire sur Hitler ?

    - Je ne sais pas, je m'en fous.

    - C'est ton dernier mot ?

    - Si, il était à la pointe de la mode. C'est le premier a avoir lancé la mode de la mèche et il a embauché Hugo Boss pour confectionner ses uniformes.

    - C'est ta réponse ? Le génocide, ça ne te dit rien ?

    - Je préfère les traits d'esprit. Le passé, c'est le passé. C'est bien de tourner la page parfois. Je suis bien placé pour le savoir. Vous aussi, monsieur l'Historien.

    - Avec une logique pareille et ton désintérêt pour les études, ton avenir ne semble pas radieux.

    - C'est une idéologie chez vous de rabaisser les jeunes ? On sent la rage derrière ce masque. Vous me parlez d'avenir alors que j'ai 17 ans et que je suis en première ? Laissez-moi vivre ma jeunesse, on en reparlera dans 5 ans. »

(Arrête tant qu'il en est encore temps, Meth...)

La colère se lit sur son visage.
Mr Zgueg est ce qu'on peut appeler un pauvre type. Moche, chauve, avec un bide d'alcoolique, je parierais ma chemise que son seul plaisir dans la vie est de rentrer chez lui le soir pour se branler sur du porno amateur avec des trav', des nains et des chiens. Le stéréotype du mec médiocre dans toute sa splendeur qui a foiré ses études pour devenir historien et qui s'est rabattu sur l'enseignement pour casser du jeune. Sauf que dès que Mr Zgueg se retrouve confronté à plus fort que lui, il perd patience.

A peine ma phrase terminée, Axelle se met à rire. Le problème, c'est qu'elle est la seule de la classe, les autres sont estomaqués.

« Il y a quelque chose de drôle, Axelle ? »
Elle se tait aussitôt.

« - Tu sais Meth, je connais ton histoire. Et j'imagine que cette agressivité sert à camoufler ta fragilité.

   - Vous ne savez pas de quoi vous parlez. Se faire analyser par un pauvre type comme vous, c'est la meilleure des blagues. Balayez déjà devant votre porte, et on verra après si je vous prend en CDD pour nettoyer mon porche. »

Axelle rigole de nouveau. Le prof lui dit d'aller chez la directrice. Je sais qu'elle m'attendra devant la porte de la classe. Elle ne fait que me précéder.

« - Je sais parfaitement de quoi je parle, la directrice m'a tout dit. Je veux simplement t'aider. Je sais que ta mère est...

  - Je vais être très clair avec vous. Je ne vous aime pas, et c'est pas parce que vous vivez une pathétique vie de solitaire que vous devez commencer à avoir un élan paternel à mon égard. Donc tu vas la fermer et revenir aux choses que tu sais si bien faire, « enseigner ». N'est-ce pas monsieur Zgueg ? »

(C'est la goutte d'eau... Tu étais prévenu, Meth.)

« - Tu connais le chemin pour aller au bureau de la Directrice ? 

   - T'inquiète pas, je me perdrai pas en route papa, si c'est ce que tu veux savoir. »

Couillon.
(ça, tu l'as dit).

Je quitte la classe, ferme la porte. Axelle m'attend comme prévu.

« - Je suis vraiment désolé, Lili, je t'ai encore foutu dans la merde.

   - Pas grave. Du moment que ça me permet d'éviter le cours de ce pédophile. Et puis, avec ta tante comme directrice, je me fais pas trop de soucis.

    - C'est pas une raison, tu peux pas continuer à foirer ta scolarité à cause de moi.

    - Les amis, ça sert à ça. Et t'as personne à part moi.

    - Ta modestie m'étonnera de jour en jour... »

Elle rit. C'est bien la seule à apprécier mon ironie.

Direction le bureau de la Directrice, prêt à combattre la Matrone. Qu'est-ce qu'elle peut m'emmerder, celle-là.

(Faudra faire avec, c'est la famille.)

On traverse la cour silencieuse. Tout le monde est en cours à s'asservir devant des profs en espérant un avenir radieux. J'ai jamais aimé payer mon cul pour assurer mes besoins vitaux, ils peuvent se faire branler par quelqu'un d'autre.
Arrivés au secrétariat, une inconnue passe à toute vitesse devant nous et va s'asseoir sur un banc de la cour. La secrétaire nous fait signe d'entrer, ( elle sait pourquoi on est là ) et nous dit de patienter dans la petite salle d'attente.
Tata Maquerelle ouvre la porte de son bureau et appelle Axelle. Ce ne sera l'affaire que de quelques minutes. Je sais qu'il ne lui arrivera rien, tout simplement parce que ma tante sait qu'elle est ma seule confidente. Et parce qu'elle sait l'enfer qu'elle vivrait si elle touchait à Axelle.

(Pas folle la guêpe.)
Ah Ah, c'est pas faux.

Axelle sort au bout d'une dizaine de minutes, ma tante me dit d'entrer. Elle s'assit derrière son bureau, je m'installe sur le fauteuil en face d'elle. La bataille des esprits peut commencer.

« - Axelle m'a tout raconté. Bon sang, Meth, quand finiras-tu par comprendre que cette agressivité ne mène à rien ?

    - Quand t'arrêteras de me casser les couilles avec tes conneries.

    - Très mature, Meth. Vraiment. Tu es tellement énervant parfois. Et Axelle doit subir toutes tes conneries en plus. Ça te ferait quoi si je la renvoyais ?

    - Ça te ferait quoi si je démoulais un cake là tout de suite sur ton beau bureau ?

    - Je veux simplement t'aider.

    - Comme ce pauvre type de M, Zgueg qui veut se la jouer paternel ? Merci, mais non merci.

    - Arrête de l'appeler ainsi ! Si j'ai mis M, Zkek dans la confidence, c'est pour me décharger de cette masse de travail qu'est ton cas.

    - Sympa la dernière phrase. On voit l'amour que tu me portes. Et puis M, Zkek ou Zgueg, même combat. Au final, ça reste un pauvre puceau alcoolo. »

Elle se pince la lèvre. Son visage devient rouge. Je l'ai énervée, tant mieux.

( Tu trouves pas ça bizarre qu'elle prenne autant à cœur le fait que tu insultes M, Zgueg ?
En plus, elle semble plus prendre son parti que le tien... )

Pas con.

« - C'est un bon coup ? Elle est grosse ? Moi, je l'imagine toute petite.

   - De quoi tu parles ?

   - Tu le sais parfaitement, sinon tu ne serais pas en train de t'énerver.

   - Je...

   - Bordel, tu couches avec ce loser et après tu viens me faire la morale. T'as foutu quoi dans ta vie pour qu'elle devienne aussi merdique ? Directrice d'un lycée à chier, mon Dieu... Les petits cunis qu'il te fait sous le bureau pendant la pause déjeuner, c'est ton kif ? Une petite biffle et c'est parti pour la fellation, direction sodo'. C'est pathétique. Mais ça m'étonne pas de toi.

    - Je t'interdis de me parler sur ce ton. Je suis la directrice de cet établissement, mais je suis aussi ta tante. Tu ne sais rien de moi et tu oses me juger.

    - Tu me juges depuis que Maman m'a adopté. T'es mal placée pour la ramener.

    - Bon Dieu, et quand je pense que tu es comme ça alors qu'Axelle est là pour te canalyser. Je préfère pas imaginer comment ce serait si...

    - Mêle pas Axelle à ça. C'est entre toi et moi.

    - Je comprends pas cette volonté autodestructrice qui t'habite. Avoir une seule amie ne mène pas au bonheur.

    - Cette voie, je l'ai abandonnée depuis bien longtemps.

    - C'est triste de dire ça à 17 ans. Comment tu seras à 25 ?

    - On le verra bien dans huit ans.

    - Toujours le dernier mot, hein ?

    - Nan, c'est juste qu'une connasse qui essaie de se faire passer pour ma tante me gonfle. Si tu n'arrives pas à comprendre que tu ne représentes rien pour moi... »

(C'était encore la phrase de trop, Meth.)

« - Tu le prends comme ça ? Parfait. Je ne vois qu'une façon de te faire comprendre le problème. Je sais que tu détestes le contact des autres, c'est pour ça que j'ai trouvé la punition parfaite. Tu as dû voir une fille sortir en venant. Je lui ai dit d'attendre dans la cour. Elle est nouvelle, elle vient d'emménager à Paris et elle va intégrer ta classe. Comme elle ne connaît personne, j'aimerais que tu ailles la voir et que tu lui fasses visiter l'établissement. D'accord ?

  -  J'ai vraiment le choix ?

  - Tu connais déjà la réponse. »

Je claque la porte en sortant.
Bordel, tout pour me faire chier, celle-là. Et Axelle qui est déjà repartie en cours.
Je sors du secrétariat et me dirige vers mon paquet d'emmerde.
Un vague parfum virevolte dans l'air alors que je m'approche de l'inconnue. Parfum qui devient de plus en plus enivrant. Je la vois de loin en train de mâchouiller une mèche de ses longs cheveux noirs. A quoi peut-elle penser ?

(Elle a l'air d'être mignonne.)
Arrête tes conneries.

Plus je m'approche, plus je discerne ses traits. Une poupée aux yeux verts et à la peau mate. Elle a une frange et repousse sa mèche en soufflant vers le haut. Elle attend, elle ne sait pas quoi, mais au moment où elle me verra, elle déchantera aussitôt.

Mais putain, pourquoi ces plans merdiques n'arrivent qu'à moi ? J'en ai rien à foutre d'aider cette nana, je veux juste me tirer d'ici.

Puis, elle me regarde et toutes mes mauvaises pensées s'envolent. Elle me souriait. Son sourire la rendait magnifique, alors qu'elle était déjà parfaite. Je ne peux plus faire marche arrière, alors je m'assieds à côté d'elle.

(Prends sur toi mon vieux. C'est bientôt fini.)

Aucun échange pendant une dizaine de minutes. Je ne sais pas quoi dire.
D'un côté, rester assis à côté d'elle et sentir son parfum me suffisait.
Et pour une nana de 17 piges, elle ressemblait déjà à une femme.
Puis sa petite voix casse ce silence tendu :

« Ma mère m'a toujours dit qu'il était malpoli de ne pas se présenter. Mais je suppose qu'on s'en fiche, ma mère est un peu conne. »

Cette phrase eut l'effet d'un électrochoc.

« - Mon nom importe peu. Je suis juste là pour te faire visiter l'établissement. C'est une punition que m'a refilée la connasse qui nous sert de principale.

    - J'ai vu pire comme punition. Chez moi, quand mon père était encore là, c'était la ceinture. »

Autre silence pesant.

« - Et pourquoi tu as été puni, alors ?

   - J'ai comparé Hitler à un Baron de la mode. »

Elle rit. Elle rit ?
(Intéressant.)

« J'ai été virée de mon ancien bahut parce que j'ai dit à la directrice qu'elle ressemblait à une pute de seconde zone. »

Je ris. Je ris ?
(Intéressant.)

« - Bon, tu me fais visiter ce trou ?

   - D'accord.

   - Au fait, tu t'appelles comment ?

   - Meth...

   - Ta mère était addict au crack ou bien ?

   - Ah Ah...

   - Sujet sensible on dirait.

   - Et toi, tu as un prénom ?

   - Je m'appelle... »

Elle était belle.
Elle sentait bon.
Elle serait mienne.
Elle s'appelait Lou.

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