mercredi 20 juillet 2011

L'éveil


J’épiais le monde et le monde m’épiait.
Ma liberté, du moins ce qu’il m’en restait, s’était envolée.
Je ne sors plus depuis plusieurs mois. Mon corps me lâche. Chaque effort, chaque routine se réduit à une torture.
Ce qui m’occupait m’ennuie, ce qui m’intéressait m’exaspère.

(Point de non-retour.)

J’ai maintenant 25 ans avec la sale impression d’en avoir vécu 50 ans.
Je me réveille avec un sale goût de tabac dans la bouche. Je tousse, je crache, je m’allume une clope. L’heure : 13h50. Ma chambre pue la mort. N’ayant plus que la peau sur les os, l’image me convient.
Je me lève difficilement. Mon bras cassé se fait toujours sentir.

(Elle te manque.)

Je regarde le monde par cette meurtrière qu’est ma fenêtre.
Je vois un oiseau s’envoler vers la liberté ; il me nargue, moi, pieds enchaînés à cette planète qui m’est étrangère.
Je vois une mère sourire en poussant la poussette de son nourrisson.
Je vois un couple s’embrasser, se chuchoter des mot doux, monter dans un taxi, jouir dans leur appartement.
Je vois un père apprenant à son fils comment faire du vélo : « Regarde Papa, j’y arrive. »
Je vois une femme âgée dans son appartement, assise sur son sofa préféré. Elle est au téléphone, elle raccroche. Sa fille lui a sûrement raconté une bonne nouvelle. Elle sourit.
Je vois le bonheur, sentiment que je ne connaîtrai jamais. Atropos m’en a privé, il y a bien longtemps.
J’observe des appartements empilés les uns sur les autres, des bus suivant toujours le même parcours, des hommes en costume ayant chaque jour la même routine. Je vois l’ordre, une simple formule mathématique guidée par l’intentionnel. L’aléatoire meurt ou finit en prison.

(Quelle est ta place dans un monde si prévisible ?)

Mon esprit est un chaos.
L’horreur de la dépression est que l’on voit le monde sous sa véritable apparence. Une grande machinerie sous couverture où l’être humain est la véritable matière première. Je pourrais crever maintenant, personne ne me pleurerait, leur vie ne changerait pas.

Depuis le départ, je me voilais la face. Je m’en rends compte aujourd’hui. Toute cette histoire de réussite, de famille, c’était peut-être pas pour moi.

(C’était écrit.)

Quand on sort de l’utérus de la luxure, il est tout de suite difficile de s’intégrer.
Je n’ai jamais aimé la structure, la hiérarchie, l’ordre pré-établi. Je suppose que je peux l’imputer à ce tissu gangrené qu’est mon cerveau. Cette pièce qui a flingué le véhicule qu’est mon corps. Je suis le désordre. Si le monde était un super-héros, je serais son Némésis, son génie du mal. Seule ma lâcheté m’interdit le passage à l’acte.

(Tombe pas dans le mélo.)

Mais ce que mes yeux perçoivent, mon esprit corrompu l’interprète.
Je vois un piaf se prendre un arbre, je vois une mère attendant qu’un bus passe pour pousser la poussette sous ses roues, je vois un homme battre sa femme parce qu’elle ne l’a pas sucé correctement, il la frappe à coup de batte, elle meurt. Je vois un gamin tomber de son vélo et se faire écraser par un 4x4, je vois le sourire macabre du père, la satisfaction du travail bien fait se lit sur son visage ; je vois une femme âgée faire un infarctus, les yeux en pleurs, la voix de sa fille étant la dernière chose qu’elle entendra de sa pathétique existence. Elle me précédera au compost.
Je vois mon propre reflet.

(Tu te prends trop la tête.)

Ou pas assez.
Mon portable sonne. Je détourne mon regard de la fenêtre. Ma clope est finie.
Damian ? Je ne lui ai pas parlé depuis le jour où Elle… Déjà six mois…
Je ne décroche pas. Je n’en ai pas l’envie, je n’en ai pas la force.
Dans la rue, une sirène hurle. Le SAMU ?
Mon portable vibre. Damian m’a laissé un message. Que veut-il ? Il en a déjà suffisamment fait.
888. Sonnerie. Le message se lance.
« Meth…C’est Damian. Il nous reste peu de temps, alors je serai bref.
Même si tu n’as pas voulu me voir ces derniers mois, tu restes l’équivalent d’un frère.
J’espère que tu n’as pas oublié que depuis la mort de tes parents, je suis ton garant aux yeux de l’état. J’espère que tu me pardonneras un jour pour ce que j’ai fait, mais je le fais pour ton bien. Les sirènes que tu dois entendre maintenant…Je ne pense pas avoir à t’expliquer qui elles servent et qui elles viennent chercher. Tu commences à perdre pied et bientôt tu te noieras. Tu te tortures et tu te punis pour quelque chose dont tu n’es pas responsable. Elle n’est pas morte par ta faute. »

(Il ne comprend pas, il ne comprend rien.)

« Il te faut de l’aide avant qu’il ne soit trop tard. J’ai fait ce qui me semblait juste pour notre bien à tous ».

(Notre bien à tous ? De qui se moque-t-il ? Tu peux plus supporter d’avoir un poids sur la conscience. Tu vas simplement te débarrasser de moi ?)

« Sainte-Anne sera peut-être ton salut. Ne résiste pas, c’est inutile à présent. »
Je t’emmerde. Plutôt crever.

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