mardi 30 août 2011

C0DEX

Pour Lili.


(Tic-tac, tic-tac…)

Le néant.
L’obscurité m’entoure. Il n’y a plus rien, sauf le silence. Je ne peux pas bouger, je ne peux plus bouger. Le temps s’est arrêté. Je ne respire plus, je n’entends pas mon cœur battre. Le temps d’une seconde la Terre s’est arrêtée de tourner pour moi.

 Puis un bruit…

Un bruit lent, lascif, lassé. Dong ! Dong !
Il se répète inlassablement dans les ténèbres. Il ne s’arrête pas. Il veut me ramener à la réalité.
Et je reprends conscience de mon corps. Ma tête me tue. Comme si on me brûlait le cerveau de l’intérieur. La même sensation que des coups répétés de marteau dans la gueule.
Mon bras droit me lance. J’ai l’impression qu’il est passé dans un broyeur.

(Tic-tac, tic-tac…)

Où suis-je bordel ?
Je peux sentir le sang s’échapper de mon corps. J’ai son goût dégueulasse dans la bouche. J’essaie d’ouvrir les yeux. Le gauche est foutu.

Dong ! Dong !
J’essaie bordel.
J’ouvre l’œil droit. Je vois un bouton clignoter. J’essaie de l’atteindre avec mon bras droit. Quel con. Je veux crier de douleur mais aucun son ne s’échappe. Mon os est sorti. Et le chaos régnant dans mon esprit n’arrange en rien.
Si je suis en enfer, tuez-moi maintenant.

Dong ! Dong !

J’essaie la manœuvre avec l’autre bras, mais mon corps ne veut
                                                                                                      (peut ?)
                                                                                                                      pas bouger.
Je tends le bras. Je tousse, je crache du sang, mais j’atteins ce foutu bouton.
Mais ce n’est qu’une simple lumière montrant qu’une portière est ouverte.

(…)

Une portière ?

Oh Mon Dieu… Puis je me souviens.
Lou. Le dîner chez ses parents en campagne. Le verre de trop. Il est l’heure de rentrer. Le retour sur Paris. L’autoroute A5. La voiture. Elle me regarde avant de prendre la place du mort.

(Tic-tac, tic-tac…)

Elle me sourit, elle me dit que ses parents m’apprécient, que mon passé les importe peu, que ce qui compte à leurs yeux, c’est l’importance que j’accorde à leur fille.
Elle rigole, me regarde à nouveau, me dit qu’elle m’aime.
J’ai peur, je sens venir une conversation importante.
Elle me dit qu’elle a trouvé un boulot qui paie bien, qu’elle voudrait qu’on passe à l’étape supérieure.

(Tic-tac, tic-tac…)

Elle parle de trouver un appart’, elle veut qu’on habite ensemble. Elle me demande si je suis prêt à sauter le pas. Je ne réponds pas, je flippe.
Elle commence à parler de projet d’avenir, d’avoir des enfants, de se marier.
Pas nécessairement dans cet ordre-là.
Elle me dit que son père est prêt à m’employer. Ce serait un petit poste au début, mais si je fais mes preuves, je pourrais aller loin.
Je lui dis que je me fous de la charité de son père. Pourquoi je dis ça ?
Elle est choquée. Elle ne dit rien et recommence avec son histoire de gamins.
Je m’énerve, lui lance que je ne suis pas prêt pour ça, que je ne veux pas avoir de gosse dans une vie aussi merdique, que je suis pas un mec qui cherche à s’installer, et que ça m’étonnerait que ses parents apprécient le mec qui écarte les jambes de leur fille chaque soir avant de dormir. Je lui sors le coup de la claustrophobie, lui dit que je ne peux pas vivre sans mon espace vital.
Je suis une merde, je le sais.

Elle pleure. Elle s’énerve à son tour. La dispute éclate. Elle me dit que je ne suis qu’un gamin, qu’il est temps que je grandisse, que la vie est remplie de petits sacrifices avant d’atteindre la voie du bonheur. Elle ajoute que je suis bien placé pour le savoir avec la vie merdique que je me trimballe. Je lui réponds que tout ça ne m’intéresse pas, que je préfère encore me complaire dans ma vie de raté.

Je la regarde. Je ne vois pas la bretelle de sortie. La voiture percute la barrière de sécurité.
Un tonneau. Sa ceinture lâche. 
                         Deux tonneaux. Elle traverse le pare-brise.
                                                                                           Trois Tonneaux. Rideau.
           
(Tic-tac, tic-tac…)

Je me souviens et je comprends.
Si mon corps ne peut plus bouger, c’est parce que je suis attaché à mon siège dans une épave retournée sur la bande d’arrêt d’urgence. La ceinture ne veut pas lâcher son emprise. Plus je bouge, plus l’étreinte se resserre. L’essence s’écoule du réservoir et vient remplir l’habitacle.
Je suis piégé et je ne peux rien faire.
Je veux crier, hurler, mais aucun son ne sort. Le sang a élu son domicile et ne veut pas partir.
Quelque chose brille à côté de moi. Un morceau du dernier album de Radiohead.
Son préféré du moment. Elle voulait écouter Codex en chemin.
Je l’attrape, coupe ma ceinture. Tout mon corps tombe et s’écrase contre le plafond de la carcasse. Mes jambes n’ont rien. Dieu merci.
Je rampe hors de la voiture à l’aide de mon seul bras valide et me traîne jusqu’à la barrière.
Je suis aussi blessé à la tête et aux côtes.
Respirer est comparable à une dizaine de coups de couteaux simultanés que je reçois dans le bide.
J’essaie de me lever. Je tombe.
J’essaie à nouveau, ma tête tourne, je vomis. J’ai perdu trop de sang.

(Tic-tac…)

Tout autour, les ténèbres. La lumière faiblarde des lampadaires est inutile.
Je tourne la tête et discerne une forme, à une dizaine de mètres, gisante sur le sol.
Je me dirige comme je peux vers elle. Je trébuche sur quelque chose, je tombe à nouveau.
Le sol est mouillé. De l’eau ?
Je porte ma main à mon visage, je reconnais l’odeur. Mon cœur se brise.

J’attrape ce qui m’a fait tomber. C’est lourd. Je me concentre pour comprendre ce que c’est. Une jambe… Je vomis. Lou ?

(Tic-tac…)

Le sifflement dans mes oreilles s’amenuise.
Je peux entendre le tonnerre gronder. Un éclair déchire le ciel. Lou !

Mes jambes ne répondent plus.
La forme à quelques mètres ne bouge pas, ne bouge plus.
Je rampe dans son sang. Rien à foutre de mon bras, je sais qu’elle m’attend.
Je rampe et jamais le temps ne m’a paru aussi long.

(Tic…Tac…)

J’arrive à sa hauteur, mais je sais déjà ce qui m’y attend. L’espoir a quitté la boîte de Pandore.
Malgré l’obscurité et le tonnerre, je peux entendre sa faible respiration.
Je prends ce qui reste d’elle dans mes bras.
Une partie de ses cheveux a été arraché laissant une plaie béante à la vue de tous, un bout de tôle est enfoncé dans son sein droit. Le sang coule à flot de sa jambe amputée.
Elle serre sa main dans la mienne. Elle me regarde.
Elle me dit tout bas :

« Tu es tout sale, Meth… »

Je ne dis rien. Mes pensées s’emmêlent, la confusion s’empare de moi.

(Tic…)

« C’est pas grave, mon chéri. C’est pas ta faute, c’est pas ta faute… »

Ma gorge se noue. Elle porte son autre main à mon visage. La manœuvre lui fait cracher du sang. Elle m’embrasse.

(Tac…)

Le tonnerre gronde, la pluie tombe.

« C’est pas ta faute, Meth… »

Les larmes montent, mais la pluie touchant mon visage les camoufle.

(Tic…)

Elle me sourit. Pas avec sa bouche, mais avec ses yeux.

« Soit fort… Et n’oublie pas, c’est pas ta faute… Je t’ai… »

Sa main touchant mon visage tombe, l’autre desserre son étreinte, sa respiration s’arrête, son torse ne se soulève plus, ses yeux se ferment, son cœur ne bat plus. Elle ne souffre plus.
Sa vie l’a quittée, emportant la mienne avec.
Cette route est désormais hantée.

(Tac… Tout est fini.)

Bien sûr que tout est de ma faute.
Mon cœur saigne, il devient pierre.
Ma seule protection, celle qui m’a servie des années durant, le refoulement.

Ma raison d’être n’est plus. Je barre le mot « bonheur » au feutre noir. Le fond je l’ai touché du bout des doigts durant quelques années, mon âme n’en gardera que la forme.

Dans la plupart des films américains, le héros crierait son désespoir en regardant le ciel.
Il demanderait « Pourquoi ? » en apostrophant Dieu. Ce n’est pas ma réalité.
Ma foi ou le peu qu’il m’en restait n’est plus.
Pas de cris, pas de rage, juste de la tristesse et une pointe de défaitisme.
Demain, les gens la pleureront mais dans un mois, ils auront déjà oublié.
Moi, j’y penserai toujours.
Là est la douleur de ne pas pleurer car pleurer c’est évacuer son chagrin par tous les pores.
Je ne peux m’y résoudre. Je ne veux l’oublier. Et ce chagrin sera ma pénitence.
Si mon corps persiste, mon âme n’est plus.

Les bruits disparaissent, les voix dans ma tête se taisent, mes pensées s’évanouissent.
Il ne reste plus rien.

Je l’embrasse une dernière fois. Adieu.
Je la repose sachant que ce contact sera le dernier. L’amour, les projets d’avenir, les enfants, vieillir ensemble… Tout ça pourra se dérouler dans une dimension parallèle.
La mienne ne sera que dépression.

Je m’allonge sur le bitume. Peut-être qu’une voiture daignera m’éviter ce futur de souffrance qui se construit devant mes yeux.
Le néant, l’alcoolisme, la drogue, la folie, les nuits à errer sans but, à se prendre des coups de lattes dans la gueule. Tout sera bon pour s’évader.
Je m’allonge et j’attends. La pluie lave mes plaies. Mais la plus grande est en moi.
Intouchable, invisible, elle ne se refermera jamais.
Certains appelleront ça l’état de choc.

J’attends mais rien ne vient. Il n’y a que la pluie, ma souffrance et moi.
Pas grave, j’ai toute la nuit devant moi.

(No one gets hurt…)




Ah. Ah. Merci Thom York.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire