jeudi 1 décembre 2011

Epitaph


Née de parents catholiques, Lou m'a quitté à l'âge de 24 ans.

Tes parents, traditionalistes, n'écouteront pas ta dernière volonté. Ils ne la connaissent pas. Ils ne te connaissaient pas.

Je me souviens de ton sourire, de ton habitude de toujours dormir nue, de ta façon de me caresser les cheveux quand tu te réveillais avant moi, de ton habitude de te mordre la lèvre quand tu réfléchissais, de la fois où tu m'as demandé si notre relation serait éternelle, de ta façon de m'embrasser comme si chaque fois serait la dernière.
Mais ce qui marquera à jamais mon âme, c'est ton coin de paradis, celui où tu m'as emmené le jour où tu m'as laissé te faire l'amour pour la première fois. Un havre de paix perdu dans la forêt où tu aurais aimé qu'on disperse tes cendres, le jour où tu disparaîtrais. Histoire de pouvoir reposer dans une paisible solitude, là où tu es née pour la seconde fois. C'est en gros ce que tu avais dit. Je n'ai pas la prétention de parler aussi bien que toi.

Tes parents ne savent rien de ça, ou alors ils préfèrent tout simplement l'ignorer.
Ils ont préféré t'enterrer six pieds sous terre, enfermée entre quatre planches. Ils doivent se dire qu'en installant une tombe dans un cimetière et un autel dans leur salon, ils rempliront le devoir de tout bon parent. En te fixant à la réalité pour l'éternité, ils ne t'oublieront jamais.
Ils sont un peu cons, tu restes leur fille, mais ne leur en veux pas.
Si tu dois blâmer quelqu'un, blâme-moi.
Si tu te retrouves dans cette boîte à pourrir et à te faire bouffer par les asticots, c'est ma faute.
Tu dors à jamais et je m'en voudrai le restant de mes jours d'être resté en vie.
Mon corps persiste, mais l'étincelle de vie s'en est allée.

Le flic qui m'a récupéré au milieu de la route, le soir de la fin de mon monde, m'a dit qu'on appelait ça : « La culpabilité du survivant ».
Il l'a dit comme si c'était une évidence, comme si ce qui m'était arrivé n'était qu'une banalité de plus dans sa merdique vie de fonctionnaire.
Il l'a dit sans aucune compassion alors qu'il tirait sur Dunhill.
Encore une excuse de l'humanité pour ne pas avoir à porter le fardeau de la mort d'autrui sur sa conscience. Ça me rappelle la religion, ces conneries.
En me déposant à l'hosto, il me dit en partant : « T'en fais pas mon petit. Une de perdue, dix de retrouvées »...

Cette phrase ne m'a pas quittée depuis ce soir-là. Et à partir de là, ce fut la descente aux enfers.
Tes parents ont mis un mois avant de se décider à t'enterrer. Tout ça parce qu'ils voulaient que toute la famille puisse être présente, quitte à payer des frais pour te garder en chambre froide.
Ce fut le mois le plus long de ma vie.





Déni.

Le pire durant un deuil, ce sont les habitudes.
Les habitudes que l'on a prises à force de vivre avec l'autre.
Les habitudes qui reviennent plus fortes car notre inconscient ne veut admettre qu'il y a une faille qui ne pourra plus jamais être refermée.

Les semaines avant l'enterrement ont été les plus dures.

Chaque matin, je me réveille en espérant te retrouver à mes côtés, mais le lit reste désespérément vide. J'installe la table pour deux, je prépare le déjeuner pour deux. Je n'arrive pas admettre que je suis seul. Ta présence habite notre appartement et mes pensées.
J'appelle ton portable plusieurs fois par jour juste pour entendre ta voix sur le répondeur, dernière trace de ton existence.
J'ai l'impression de te voir dans le visage de chaque fille que je croise.
Je vais sur ton lieu de travail en me disant que tu seras peut-être là, en train de déjeuner seule.
Cette solitude que tu cultivais me manque.

Chaque soir, je reste planté devant la porte d'entrée en me disant que si je compte jusqu'à dix avant de l'ouvrir, tu seras là, à m'attendre nue dans la chambre.

Chaque matin, je me réveille en me disant que tout ça n'était qu'un rêve.
L'accident, ta disparition, et cette semaine passée dans le brouillard, sans toi à mes côtés.
Je me dis que tout ça n'était qu'un mauvais rêve et que tu m'attends tranquillement dans la cuisine en train de préparer le p'tit-déj'.
Et chaque matin me renvoie à cette réalité improbable, car moi sans toi égal rien.

Je n'ai pas voulu prendre part aux délibérations quant au choix du cercueil, des fleurs et de toutes ces conneries qui vont avec.
Je ne pouvais pas, tu me comprends.
Je n'ai même pas eu la force de venir te voir le jour de l'enterrement alors que tu dormais tranquillement au fond des locaux des pompes funèbres.
Tes parents ont expliqué aux personnes présentes que l'enterrement se déroulerait en trois temps :
Pompes funèbres – Église – Cimetière.
J'ai déjà foiré le premier.
Je n'ai pas pu supporter de t'imaginer exposée à la vue de tous dans ton cercueil, derrière une vitre.
Devoir traverser ce long couloir blanc, impersonnel, puant les liquides pour morts pour voir un cadavre... Je n'en ai jamais compris l'intérêt.
Et même si ce cadavre qui m'attend au bout c'est toi, cela reste au-dessus de mes forces.
Tu l'as toujours su. Sans toi, je suis faible.





Colère.

Putain.
On me demande souvent si je vais bien et je réponds que oui.
Et même si je sais que je mens, je sais que ça leur fait plaisir et au moins ils me foutent la paix.

Cette culpabilité s'est vite transformée en regret, puis en dégoût et finalement en haine.
Une haine de soi incommensurable qui ne semble jamais s'éteindre.

J'ai détruit tous les miroirs de notre appartement, j'ai jeté toutes les photos de moi, tout ce qui pouvait me renvoyer à mon propre physique.
Je ne pouvais plus supporter de voir le reflet d'un assassin dans la glace.

Là où tu es, si tu comptes me pardonner un jour, ne le fais pas. J'accepte ce qu'il m'arrive.

(Après tout, tu le mérites... )

C'est vrai.
Après tout, je le mérite.
A chaque erreur, sa punition.
Si la mienne est de me haïr pour le restant de mes jours, ainsi soit-il. Amen.

J'ai pris l'habitude de m'exploser le crâne à coup de rails de coke, de me piquer de temps à autre, de me scarifier, de chercher la merde avec la racaille du coin pour me faire défoncer la gueule. Tout est bon pour me détruire.
Je l'ai dit. A chaque erreur, sa punition.
Je me ferai souffrir autant que tu as souffert.
Et si ma souffrance doit passer par le rejet total de ce corps et de ce visage, ainsi soit-il.

(Amen...)


La route est longue jusqu'à l'église, interminable.
Le corbillard, noir comme la mort, avance lentement le long de la rue. Les personnes en deuil accompagnent la marche funèbre, l'infanticide la ferme.
Les pleurs, les cris, les râles donnent l'accord.
Je préfère rester à l'écart. Loin de toi. Je ne te mérite plus.
Tes parents me tiennent responsable de toute cette merde.
Ils auront beau me pisser dessus, je leur rendrai la pareille.

On arrive à l'église. Ton père me regarde dans les yeux. Son regard crie : «  Tout est de ta faute ».
La haine se répand sur son visage. Il sert le poing.
Il me demande de porter le cercueil à l'intérieur avec lui.
Pour la première fois depuis un mois, tu es de nouveau à mes côtés.





Marchandage.

Je pensais avoir perdu la foi après ta...
Non... Je n'ai pas encore la force de le dire.

Je pensais avoir perdu la foi et pourtant je me suis retrouvé à prier.
Prier pour que tu me reviennes,
pour que tu te réveilles et que tu te lèves de cette boite dans laquelle on compte t'enfermer,
pour que mon Apocalypse ne soit jamais arrivée,
pour que quelqu'un m'aime à nouveau,
pour que je ne sois plus seul
et pour que je puisse te revoir au moins une dernière fois. Juste une fois.
Si tu savais comme je m'en veux. Mais évidemment, aucune réponse d'en haut.
Qui aiderait un meurtrier alors qu'Il a balancé à Moïse : Je suis qui Je suis.
En gros, je peux me brosser pour que Tu m'entendes.

Je retourne de temps en temps sur les lieux de l'accident,
je m'allonge à l'endroit exact où tu t'es éteinte en implorant quelqu'un, quelque chose ?
Pour qu'on échange nos places, je vendrais mon âme.
Tu méritais de vivre, pas moi.
Tu méritais de vivre car tu as su trouver quelque chose de bon en moi que je n'avais supposé jusqu'alors.

Que me reste-il ici-bas ?
Que nous reste-il ?

La messe s'ouvre sur Heavy Pop de Wu Lyf.
Un choix de ta sœur. Je lui en suis reconnaissant.
Ça me rappelle de bons souvenirs. C'est douloureux mais c'était des jours heureux.

Le prêtre commence sa logorrhée. Un tissu de mensonges visant à apaiser la conscience du badaud.
Il dit que désormais tu es dans un monde meilleur, le monde de Jésus Christ. Blablabla.
Ce n'est pas difficile vu l'état du mien.
Il dit que même si tu es... , tu veilleras toujours sur nous comme... un putain d'ange gardien ?
Comme si j'avais besoin de ça en ce moment.
Ton père prend sa place et commence son discours.
J'arrête d'écouter.




Dépression.

La dernière semaine avant l'enterrement a été la plus dure.

J'ai récupéré le revolver du grand-père.
Je l'ai chargé d'une balle et chaque matin j'ai une chance sur six de te rejoindre plus vite.

J'ai perdu l'appétit. Tout ce que j'avale laisse un goût de merde dans ma bouche.
J'ai perdu dix kilos sur les soixante que je pesais.

Je ne dors plus la nuit tellement je suis abruti par les drogues.
Mais ça me permet de te voir, même si ça n'est qu'une illusion, même si ça n'est qu’éphémère.

Je marche des heures sans savoir où aller, sans but précis, juste pour ne plus penser.
Je regarde les gens sans les voir, ils me parlent mais je ne les écoute pas.
Je marche à leurs côtés, pourtant je ne suis plus vraiment là.

Tout ressemble à un lendemain de cuite.
La vie est lente, la vie est chiante.
Comme si le reste du monde était shooté à la morphine et qu'on prenait conscience de ce qu'est vraiment la réalité.

J'ai commencé à boire. J'écume les bars, parfois je me réveille dans la rue, parfois au poste.
Je ne fais plus attention à rien et surtout pas à ma propre vie.
Enfin, c'est ce que j'aimerais me dire.
J'ai essayé de trouver un moyen plus rapide de me suicider.
Mais j'ai peur de souffrir en mourant, alors j'en ai pas eu le cran.
Même pour ça, je suis un lâche. Tu me manques.

Le corbillard se dirige vers le cimetière.
Il pleut. Comme si la concentration de rage, de haine et de tristesse en un même point terrestre avait entraîné une sorte de déclic.
La marche continue pour se diriger vers la cour du Roi Pourpre, le lieu de désolation et de fatalité, la maison des morts.
(Terminus, tous les passagers sont invités à descendre...)

Le corbillard entre dans le cimetière, avance encore un peu et s'arrête à côté de ton trou fraîchement creusé dans la terre. Il s'arrête à côté de ta future tombe.
Le chauffeur sort, ouvre le coffre et t'installe pour l'enterrement.




Acceptation.

Le prêtre lève les bras au ciel. La pluie cesse.

Il balance un dernier serment sur l'être aimé, sur la vie après la mort et commence à parler de poussière. Ces conneries me fatiguent.

Le prêtre dit : « Repose en paix, mon enfant. »
Et le cercueil commence à s'enfoncer dans les ténèbres.
Et une peur sourde m'envahit. Ma gorge se noue. Je tremble.
Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive.

Ton père s'avance, plonge sa main dans la terre devenue boue et lance sa poignée dans le trou,
sur ton cercueil.
Ta mère fait pareil, ainsi que le reste des gens présents.
C'est mon tour et quand je prends la poignée, mon bras ne veut plus m'obéir.
Et quand je lance la boue, mon cœur se fait poignarder.

J'ai compris maintenant.

J'ai cru à tort que l'amour faisait tourner le monde, qu'il nous permettait de rester debout quand tout autour s'effondrait. Quelle connerie.
La tristesse et la colère sont des sentiments plus violents.

Je m'éloigne un peu du cercueil.
Les larmes commencent à couler, enfin.
Je tombe à genoux, je crie, je hurle, j'implore une dernière fois.

Et j'accepte.
Tu es morte, c'est fini.
Ça fait du bien parfois de pleurer dans ce monde de merde.

Ça m'emmerde de t'aimer.
Tu peux pas t'imaginer à quel point.

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