mercredi 2 mai 2012

Grease




Il pleut.
Il pleut beaucoup dans mon histoire, vous trouvez pas ?

Moi, le ciel, et les étoiles.
Aucun obstacle entre nous.
Une douce brise d'été balaie la saleté sur mon corps.
Tous mes membres sont anesthésiés.
Je ne peux plus bouger. Un voile rouge passe sur mes yeux.
Mon coeur bat de plus en plus lentement. Respirer est un supplice.

Mon dernier souvenir me renvoie au phares d'une voiture.
J'ai réussi à me barrer de cette maison de fou, mais le destin m'a rattrapé.
Un choc violent, le bruit des os qui craquent, des pneus qui crissent,
un homme qui s'approche et qui repart en courant et puis...
                                                                                                 (Plus rien.)
Les étoiles, le ciel, et moi.
Cette vision m'apaise alors que mes forces me quittent.
Le voile rouge se répand sur tout mon corps.
                                                                                              (Il le quitte plutôt...)
Et il me noie, il m'empêche de respirer.

Un bruit au loin qui se répète. Il se rapproche petit à petit, lentement.
Il résonne au plus profond de mon être.
Serait-ce le glas ?
La fin serait-elle proche ?
La mort s'est enfin décider à me sortir de là ?
                                                                                         ( Enfin !)
J'ai froid.
Depuis qu'elle est partie, j'ai souvent pensé à sauter le pas.
Mais maintenant que je vois la mort en face, j'ai peur.
                                                                           (Je serais toujours de ton côté.)
Je le sais car tu es et restera mon seul ami.
Mon ami, mon frère, ma pulsion de mort, ma folie. Damian.
Ce n'est que maintenant, au bord du gouffre, que je le comprend.
                                                                                           (Je t'attendrai.)

Soudain, un jet de lumière éblouissant.
Un phare dans l'obscurité.
Elle est toute proche de moi.
Une silhouette s'avance lentement.
                        ...Lou ?

Elle s'approche et s'agenouille à mes côtés. Elle me prend la main.
Des gouttes d'eau tombent sur mon visage et des larmes coulent de mes yeux.
La silhouette pleure avec moi.
Je n'ai plus la force de tenir sa main.
Ce serait ça mourir seul ?
                                                                                         (Concentre-toi.)
J'entends comme un écho au loin:
"Crève pas mon gars ! Crève pas steuplé ! "
Je sens trois autres personnes s'approcher.
Elles me soulèvent et m'installent sur...
                                                                          (Meth, concentre-toi.)
Les ambulanciers me portent sur la civière.
L'un d'eux dit : "Son bras droit est foutu."
Et un autre : "Ferme ta gueule et bouge ton cul."
Ils pleurent tous les deux.
Ils soulèvent la civière et me portent jusqu'à l'ambulance.
Ils m'accompagnent tête baissée vers un avenir incertain.
Ils me portent tel un héros. Le héros de ma propre vie.
Et rien que ça, c'est déjà beaucoup. Et il n'y a qu'eux pour le comprendre.
                                                                         (Tiens-le coup !)

L'arrivée dans l'ambulance est rude.
Je sens le choc de la civière contre le métal de l'automobile dans tout mon corps.
Et la voiture démarre.
Et j'ai encore plus froid dans cet endroit.
Je m'entends dire : "J'ai froid."
Et j'en entend un dire : " Parle pas, fils. Garde tes forces.
C'est pas bon on est en train de le perdre. Putain de sale journée."

Une putain de sale journée. Voilà tout ce que c'était.
Je m'étais levé à 6 heures du mat'. Avalé un sandwich. Pissé dans le lavabo. Pris une douche.
La gonzesse dormait encore. J'ai embrassé les mioches et bordé la plus petite.
Et je suis parti au boulot. La voiture a pas voulu démarrer. Je devrais brûler cet épave.
Alors j'ai pris le métro.
Un clodo était couché sur deux sièges. Il avait trop bu.
Il a commencé à gueuler, à s'époumoner. Puis, il a fait un arrêt.
J'ai pas bougé. Ma journée avait pas encore commencé, j'avais pas encore pointé à l'hosto.
En arrivant, je me suis fait un café à la noisette.
Y a que ça qui a encore bon goût.
Puis, je suis monté dans l'ambulance.

En attendant le bleu, j'ajoute une point de gnôle dans le café.
J'aime bien l'arrière goût.
Le bleu arrive avec les deux autres collègues. Des bons gars.
On est partis pour toute la journée.
Un homme tué à bout portant, deux balles dans la tête.
Pan Pan Piou !

Un obèse qui s'est suicidé.
Il a pas supporté la brimade de trop.
Une fillette morte étouffée puis violée par son père.

Et ça continue comme ça toute la journée.
Je sais même pas comment j'arrive encore à bouffer.

Vers 23h30, la centrale nous prévient.
Ils ont reçu un appel d'un homme racontant qu'il y a eu un accident et qu'un corps gît sur la route.

On s'est rendu sur les lieux.
Le bleu s'est chié dessus en voyant le corps.

Le gamin devait pas avoir plus de 25 balais.
Il est foutu. Faut le sortir de là.
Je m'agenouille à ses côtés et lui prend la main.
T'inquiète pas fils, on est là.
Je vois dans ses yeux une faible lueur de vie.
On la foutu sur la civière et porté jusqu'à l'ambulance.
Putain de sale journée...



Morphine, merci.
Le reste de l'histoire n'est qu'une succession de flash.
Je sens la voiture s'arrêter, le lit bouger.
On me déplace de plus en plus vite.
J'entends : "Allez, les gars. Le médecin l'attends au bloc."
Premier oubli.
Puis : " Doc, vous pensez qu'il va s'en sortir ? "
Puis, second oubli.
Et : "Son destin est désormais entre ses mains."
Puis, plus rien. Le silence, le noir, le néant.

                                                                                   (...)


Quand j'ouvre à nouveau les yeux, le soleil est en haut dans le ciel.
Il m'aveugle temporairement. Dès que le don de la vue m'est rendu,
j'aperçois la mer un peu plus loin.
Mes pieds s'enfoncent dans le sable chaud.
Et j'entends le doux son du reflux des vagues.
Un vent tiède apaise mon être.
Pour la première fois depuis longtemps, je me sens vraiment bien.
J'entends de la musique.
L'air ressemble à Grease de Future Islands.
Le son provient d'une radio pas très loin.
Un homme est assis à côté, les pieds dans l'eau.
Je sais qu'il m'attend. Je le connais. Damian.
Je vais le rejoindre. Je m'assis à ses côtés. Il ne dit rien.
La mer me renvoie des effluves du parfums de Lou.
Elle m'appelle.
Puis, je regarde le large.
Un instant. Juste un instant...

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