dimanche 6 mai 2012

Still Life ?


 Pour Caly.



 "Tu t'es donc enfin décidé à venir ici.
   Intéressant. Je ne t'attendais pas aussi tôt."

Il ne me regarde toujours pas.
Je le comprend. La mer est si belle à cette époque.

"Tu crois vraiment que le terme "époque" est approprié ici ?"

Je lui demande : "Où sommes-nous ?"
Il ne me répond pas. Pas tout de suite.
Il sort une clope de son paquet de Camel, l'allume, tire une latte et la jette.
Il me regarde enfin et dit :
"- Quel est ton dernier souvenir ?
 - Je me souviens seulement d'avoir ouvert les yeux et de m'être retrouvé sur cette plage.
   Le reste n'est que brouillard."
J'enfonce mes mains dans le sable chaud.

"Ce lieu n'a rien de réel, mais ça tu le sais déjà."
Il avait raison. Je le savais déjà.
"Je pourrais répondre à ta question. Te dire quel est cet endroit, mais ça aussi tu le sais déjà."
Il avait raison. Je pensais le savoir.

Je revois les phares de la voiture.
Je revois les ambulanciers.
Mon corps est pris d'un tremblement.
Je ne veux pas, je ne peux pas formuler cette phrase.
Puis, je vomis ces mots empreint de tristesse et peut-être de soulagement :
" Je... Suis... Mort ?"
Damian me sourit.
"Pas encore. Patience. Ce n'est pas ce que tu voulais ?"
Je le regarde et dit : "Je ne sais pas."

Je vois un groupe d'inconnus au loin qui se rapproche de plus en plus.
Ils passent tous devant moi.
Je vois ma mère biologique, un homme sans visage ( Mon père ? ), mon père adoptif,
Charles mon ami d'enfance, mort en voiture à l'âge de 6 ans.
Il y a tout un tas de gens oubliés qui ont constitué ma vie.
Puis, il y a Lou. Elle passe sans me regarder.
Ils se tiennent tous la main. Ils ont l'air heureux.
Ils commencent à marcher sur l'eau et s'éloignent de plus en plus.
Au bout d'un moment, ils se retournent. Ils me regardent et me sourient.
Lou porte sa main à ses lèvres et m'envoie un baiser.
Ils crient : "Rejoins-nous."
L'un d'eux commence à s'envoler et soulève les autres dans sa course.
Ils fusionnent pour devenir une gigantesque Lou.
Elle me regarde, me sourit, puis disparait dans l'horizon lointain.
La puissance de cette vision m'entraînent dans un abime vertigineux d'émotions.
J'ai tout perdu.

"Pas tout, Meth. Pas encore. Tu as la vie et tu as tes souvenirs. C'est ta force."
Damian sourit toujours.

Je cligne des yeux. Le ciel est mauve.
Une fête bat désormais son plein. Elle contraste avec le silence régnant à mes côtés.
Les gens semblent danser sur Yes de LMFAO.
"Peu importe leurs goûts.
 Peu importe leurs choix.
 Ils n'en font aucun cas.
 Comme disait Stephen King, danser c'est la vie.
 Et la musique n'est peut-être pas parfaite, mais le bonheur ne s'obtient pas facilement.
 Ne t'inquiète pas. Quand le temps viendra, tu auras un choix a faire.
 La fête ou le large. Ne fais pas d'erreur."

Je cligne des yeux.
Des enfants courent sur l'eau.
Il grandissent au fur et à mesure de leur avancée.
Ils apprennent la joie, ils apprennent l'amour, ils apprennent le deuil.
Puis ils disparaissent.

"Marchons."
Damian se lève et part.
Je le suis vers ma destinée.
Au bout d'une centaine de mètres, il s'arrête.
"Pense à un escalier."
Je ne comprends pas.
"Fais-le."
Je m'exécute, je ferme les yeux et imagine un immense escalier de nuages.
"Allez, on monte."
En ouvrant les yeux, l'escalier est là.
Damian a déjà commencé l'ascension.
Je le rattrape et lui demande naïvement :
"Tu m'accompagnes vers l'au-delà ?"
Il répond : "Le jour où tu y seras invité,
                  tu entendras 21st Century Schizoïd Man de King Crimson.
                  Tu sauras alors que c'est l'appel.
                  Allez, continue de grimper."

Arrivés au sommet, un gigantesque miroir se tient devant nous.
Je m'en approche. Je me vois petit. Et mon moi enfant m'observe.
Il a peur de ce qu'il voit. Il ne comprend pas comment son grand moi a pu devenir ainsi.
Puis, il me regarde avec plein de compassion.
Il me pardonne toutes les erreurs que j'ai pu faire.
Puis il grandit, passe par toute les étapes de ma vie,
je me vois même avec le coquard que mon père adoptif m'avait fait.
Je cligne des yeux.
La personne que j'observe à travers le miroir a changé.
Je vois Damian. Il fait les mêmes mimiques que moi.
Harry Haller, si tu me lis, je me suis tout autant perdu que toi.
J'observe Damian et lui demande :
"Mais qui es-tu ?"
Il sourit toujours.
"Allez Alice, traverse le miroir."
Allez Meth, on y va. Je traverse.

Je me retrouve dans une salle blanche.
J'ai un flingue dans la main.
Table Ikea, lampes Stark, deux chaises...de merde.
Damian est assis sur l'une d'elles.
Il se sert un whisky et en me voyant, il me fait signe
comme un type qui se croirait dans un bar remplis.
Sur les murs blancs, toute ma vie défile en flash d'images.
"Viens t'asseoir."
Je m'exécute. Je pose l'arme sur la table.

"Tu veux donc savoir qui je suis ?
Pourtant, tu as toi-même choisit ce nom.
Je suis ton meilleur ami et ton pire ennemi, ta chance et ta malchance.
J'ai toujours été là. Quelque part. Au plus profond de ton être.
Je suis apparu quand tu en as eu le plus besoin.
Quand tu étais seul. Quand tu n'avais pas d'amis, pas d'amour, personne.
J'étais là à tes 6 ans quand tu mentais aux autres gosses
pour te rendre intéressant et te faire aimer.
J'étais là à tes 12 ans quand tu as surpris ton père en train d'enculer ta mère.
J'étais là à tes 17 ans quand tu as rencontré l'amour de ta vie.
D'après toi, qui t'as poussé à aller lui parler.
Et j'étais là le jour de l'accident et... C'était pas ta faute."

Un poids énorme quitte mon corps sous le coup de la révélation.
Je peux enfin pleurer de soulagement.
Je prend l'arme et la braque sur ma tempe.
"Tu as choisis mon nom. Damian, Daïmon, la voix intérieure."
Et il se tapote la tête.
Derrière lui, les flashs d'images n'en forment plus qu'une.
Inutile de la nommer.
"Te souviens-tu de la seule fois où tu es allé dans une église ?
  Le jour de l'enterrement.
  Ce jour-là, tu as vu un poème épinglé au mur.
  Être jeune. Et deux vers t'avaient particulièrement bouleversés.
         "On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d'années.
          On devient vieux parce qu'on a déserté son idéal."
 Je le regarde, baisse l'arme et lui dit :
"- Alors, je suis centenaire.
 - Le second vers a un double sens. Ton aveuglement t'empêche de le voir.
   Ton idéal féminin était Lou, mais le vers parle de toi.
   Depuis sa mort, tu t'es perdu. Alors qu'elle a ressortie tout le bien qui était en toi.
   Elle t'a permis de forger un moi idéal fort.
   Tu as passé ta vie à suranalyser les situations.
   Regarde où tu en es désormais.
   Tu avais déjà perdu la notion de bonheur avant même qu'elle meurt."

Heureux les simples d'esprits.
Je comprend cette phrase maintenant.

"Tu es une personne bonne et tu n'as pas mérité cette vie.
  Mais tu dois continuer à te battre."

Je lève mon arme. Damian pense que je le vise. Peut-être a-t-il raison ?
Je tire. Tuer la vérité pour mieux l'oublier.
Derrière, Lou court dans les bois.
La balle traverse Damian et se loge dans le mur blanc.
La belle perfore le coeur symbolique de l'image de mon âme soeur.
Réminiscence d'un bonheur achevé.
Damian termine son verre.

"J'ai ma réponse. Je n'ai plus aucun rôle à jouer.
Mais tu t'en sortiras sans moi. "

La pièce commence à se fissurer.

" Il est temps. Temps de faire un choix."

La pièce s'effondre. Je ferme les yeux.

Je me retrouve sur la plage du commencement.
Damian est toujours là.
Assis sur la même chaise.
Cette fois, c'est Still Life des Horrors qui passe sur sa radio.
Il se lève , s'approche de moi, m'embrasse et me souffle dans l'oreille :
"Fais le bon choix. Je ne te jugerai pas."
Puis, il marche en direction du large.
Quand l'eau lui arrive au buste, il s'arrête, se retourne et me fait un signe d'Adieu.
Il crie : "Je serais toujours là ! Quelque part !"
Et il disparaît emporté par la mer.
Adieu, mon unique ami.

Je regarde la fête au loin. On sent d'ici la vie qui s'en dégage.
Je m'imagine y aller et danser jusqu'à ne plus en pouvoir.
Je regarde le large. J'ai l'impression d'entendre les cuivres de 21st Century Schizoïd Man.
Je m'imagine que le courant me porte, que le courant m'emporte, que le courant l'emporte.

Alors ?
Quel choix faire ?
Le Beau ou la médiocrité.
L'amour ou la vie.
Lou ou le reste du monde.
Je regarde la fête, je regarde le large.
Je regarde la fête, je fous un pied dans l'eau.

mercredi 2 mai 2012

Grease




Il pleut.
Il pleut beaucoup dans mon histoire, vous trouvez pas ?

Moi, le ciel, et les étoiles.
Aucun obstacle entre nous.
Une douce brise d'été balaie la saleté sur mon corps.
Tous mes membres sont anesthésiés.
Je ne peux plus bouger. Un voile rouge passe sur mes yeux.
Mon coeur bat de plus en plus lentement. Respirer est un supplice.

Mon dernier souvenir me renvoie au phares d'une voiture.
J'ai réussi à me barrer de cette maison de fou, mais le destin m'a rattrapé.
Un choc violent, le bruit des os qui craquent, des pneus qui crissent,
un homme qui s'approche et qui repart en courant et puis...
                                                                                                 (Plus rien.)
Les étoiles, le ciel, et moi.
Cette vision m'apaise alors que mes forces me quittent.
Le voile rouge se répand sur tout mon corps.
                                                                                              (Il le quitte plutôt...)
Et il me noie, il m'empêche de respirer.

Un bruit au loin qui se répète. Il se rapproche petit à petit, lentement.
Il résonne au plus profond de mon être.
Serait-ce le glas ?
La fin serait-elle proche ?
La mort s'est enfin décider à me sortir de là ?
                                                                                         ( Enfin !)
J'ai froid.
Depuis qu'elle est partie, j'ai souvent pensé à sauter le pas.
Mais maintenant que je vois la mort en face, j'ai peur.
                                                                           (Je serais toujours de ton côté.)
Je le sais car tu es et restera mon seul ami.
Mon ami, mon frère, ma pulsion de mort, ma folie. Damian.
Ce n'est que maintenant, au bord du gouffre, que je le comprend.
                                                                                           (Je t'attendrai.)

Soudain, un jet de lumière éblouissant.
Un phare dans l'obscurité.
Elle est toute proche de moi.
Une silhouette s'avance lentement.
                        ...Lou ?

Elle s'approche et s'agenouille à mes côtés. Elle me prend la main.
Des gouttes d'eau tombent sur mon visage et des larmes coulent de mes yeux.
La silhouette pleure avec moi.
Je n'ai plus la force de tenir sa main.
Ce serait ça mourir seul ?
                                                                                         (Concentre-toi.)
J'entends comme un écho au loin:
"Crève pas mon gars ! Crève pas steuplé ! "
Je sens trois autres personnes s'approcher.
Elles me soulèvent et m'installent sur...
                                                                          (Meth, concentre-toi.)
Les ambulanciers me portent sur la civière.
L'un d'eux dit : "Son bras droit est foutu."
Et un autre : "Ferme ta gueule et bouge ton cul."
Ils pleurent tous les deux.
Ils soulèvent la civière et me portent jusqu'à l'ambulance.
Ils m'accompagnent tête baissée vers un avenir incertain.
Ils me portent tel un héros. Le héros de ma propre vie.
Et rien que ça, c'est déjà beaucoup. Et il n'y a qu'eux pour le comprendre.
                                                                         (Tiens-le coup !)

L'arrivée dans l'ambulance est rude.
Je sens le choc de la civière contre le métal de l'automobile dans tout mon corps.
Et la voiture démarre.
Et j'ai encore plus froid dans cet endroit.
Je m'entends dire : "J'ai froid."
Et j'en entend un dire : " Parle pas, fils. Garde tes forces.
C'est pas bon on est en train de le perdre. Putain de sale journée."

Une putain de sale journée. Voilà tout ce que c'était.
Je m'étais levé à 6 heures du mat'. Avalé un sandwich. Pissé dans le lavabo. Pris une douche.
La gonzesse dormait encore. J'ai embrassé les mioches et bordé la plus petite.
Et je suis parti au boulot. La voiture a pas voulu démarrer. Je devrais brûler cet épave.
Alors j'ai pris le métro.
Un clodo était couché sur deux sièges. Il avait trop bu.
Il a commencé à gueuler, à s'époumoner. Puis, il a fait un arrêt.
J'ai pas bougé. Ma journée avait pas encore commencé, j'avais pas encore pointé à l'hosto.
En arrivant, je me suis fait un café à la noisette.
Y a que ça qui a encore bon goût.
Puis, je suis monté dans l'ambulance.

En attendant le bleu, j'ajoute une point de gnôle dans le café.
J'aime bien l'arrière goût.
Le bleu arrive avec les deux autres collègues. Des bons gars.
On est partis pour toute la journée.
Un homme tué à bout portant, deux balles dans la tête.
Pan Pan Piou !

Un obèse qui s'est suicidé.
Il a pas supporté la brimade de trop.
Une fillette morte étouffée puis violée par son père.

Et ça continue comme ça toute la journée.
Je sais même pas comment j'arrive encore à bouffer.

Vers 23h30, la centrale nous prévient.
Ils ont reçu un appel d'un homme racontant qu'il y a eu un accident et qu'un corps gît sur la route.

On s'est rendu sur les lieux.
Le bleu s'est chié dessus en voyant le corps.

Le gamin devait pas avoir plus de 25 balais.
Il est foutu. Faut le sortir de là.
Je m'agenouille à ses côtés et lui prend la main.
T'inquiète pas fils, on est là.
Je vois dans ses yeux une faible lueur de vie.
On la foutu sur la civière et porté jusqu'à l'ambulance.
Putain de sale journée...



Morphine, merci.
Le reste de l'histoire n'est qu'une succession de flash.
Je sens la voiture s'arrêter, le lit bouger.
On me déplace de plus en plus vite.
J'entends : "Allez, les gars. Le médecin l'attends au bloc."
Premier oubli.
Puis : " Doc, vous pensez qu'il va s'en sortir ? "
Puis, second oubli.
Et : "Son destin est désormais entre ses mains."
Puis, plus rien. Le silence, le noir, le néant.

                                                                                   (...)


Quand j'ouvre à nouveau les yeux, le soleil est en haut dans le ciel.
Il m'aveugle temporairement. Dès que le don de la vue m'est rendu,
j'aperçois la mer un peu plus loin.
Mes pieds s'enfoncent dans le sable chaud.
Et j'entends le doux son du reflux des vagues.
Un vent tiède apaise mon être.
Pour la première fois depuis longtemps, je me sens vraiment bien.
J'entends de la musique.
L'air ressemble à Grease de Future Islands.
Le son provient d'une radio pas très loin.
Un homme est assis à côté, les pieds dans l'eau.
Je sais qu'il m'attend. Je le connais. Damian.
Je vais le rejoindre. Je m'assis à ses côtés. Il ne dit rien.
La mer me renvoie des effluves du parfums de Lou.
Elle m'appelle.
Puis, je regarde le large.
Un instant. Juste un instant...

mercredi 8 février 2012

L'homme


Cette histoire commence dans un bar...
On pourrait dire qu'elle commence dans un hôpital, mais c'est le cas de 99 % des histoires.
Trop banal.
Elle commence donc dans un bar, sur une terrasse plus précisément.

Un homme, assit à une table du premier rang, attend.
Il boit une gorgée de son café, tire une latte de sa clope, demande à la serveuse de le resservir et lui dit que si sa boisson est à nouveau froide, elle le regrettera amèrement.

L'homme regarde au loin.
Il jette un coup d'oeil à sa montre. Il se dit qu'il lui reste encore un peu de temps.

L'homme est bien vêtu quoi qu'un peu trop classique. Costard-cravate.
Son âge n'est pas important ( Le manque de trait sur son visage empêchait, de toute façon, de le trouver.).
Son nom n'est pas important. Le récit de sa journée, il n'y a que ça qui compte.

Il attendrait jusqu'à ce que la raison, pour laquelle il attend, se manifeste.
La serveuse s'approche, le ressert.
En partant, elle jette un coup d'oeil à la mallette posée sur le sol.

L'homme passe sa main dans sa tignasse blanche ( seul signe d'un âge avancé ) et regarde à nouveau au loin.
Il tire une latte, boit une gorgée. Toujours rien n'arrivait.

Bien que patient ( grande qualité selon son ex-femme ), l'homme désespérait de ne pas voir son rendez-vous arriver.

Il est exactement 15h38.
La femme qui lui avait donné rendez-vous, lui avait dit de s'asseoir exactement à la place où il se trouve et d'attendre 15h40.
Plus l'heure approchait, plus l'homme se sentait mal à l'aise.

15h39. Un oiseau s'envole, un homme monte dans un taxi, un bus passe, mais toujours aucun signe de la femme.

15h40. Quelqu'un pose sa main sur l'épaule de l'homme.
L'homme se retourne. C'est la serveuse.
La femme s'assit à sa table et le regarde.
L'homme comprend et pousse avec son pied, la mallette, sous la chaise de la femme.
Elle lui tend un sac de marque. Dedans se trouve ce qu'il cherche.
La femme se lève, prend la mallette et retourne à l'intérieur du bar.
L'homme se lève et part.

En rentrant chez lui, l'homme allume la télé et s'assit devant.

16h53. Il regarde le sac, il est attiré par lui mais préfère attendre.
La télévision vomit les conneries habituelles.
L'homme aime s'abrutir pour oublier.
Se lever. Accompagner les enfants à l'école. Aller au boulot. Rentrer. Se laver. Manger. Regarder la télé. Dormir.
L'homme connait bien la rengaine pour en avoir été l'acteur.

19h30. L'homme se lève, se dirige vers la cuisine, met un plat surgelé au micro-ondes (Cuisson : 1min30), sort le plat, s'installe à table.
Ce soir, comme tous les soirs, il mange seul.
Au début, la solitude, il a eu du mal à l'accepter.
Il a pensé au suicide, il a voulu passer à l'acte, mais l'homme est faible.
Il a peur même s'il sait que plus rien ne le retient ici.

20h00. L'homme se lève de table, débarrasse, prend le sac et retourne s'asseoir devant la télé.
Il ouvre le sac. Le Graal, l'objet de dépendance est bien présent.
Il prend le sachet, le pose sur la table et l'ouvre avec un couteau.
500 grammes de cocaïne apparaissent devant ses yeux. Toutes ses économies.
L'homme se fait trois rails. Il se sent mieux.
Son addiction fut l'une des raisons du départ de sa femme.
L'autre fut l'abandon de son fils.
L'homme le regrette désormais, mais il croyait avoir raison.

20h30. L'homme s'ennuie. La drogue ne suffit pas. ( Ou ne suffit plus ? )
L'appel du sexe devient trop fort.
Il sort de chez lui, monte en voiture et sillonne le quartier à la recherche d'une pute.
Il tombe sur une grosse. Elle fera l'affaire.
Ils montent dans une chambre d'hôtel.
L'homme ne parle pas. Parler ne sert à rien, l'amour et les sentiments n'entrent pas en compte.
Il la baise, se vide, lui jette l'argent à la gueule et se casse, toujours sans rien dire.
Il n'aura même pas émis un bruit de respiration saccadée durant l'orgasme.
Il aurait pu se faire un rail sur ses seins, mais même ça, ça ne l'intéresse plus.
Par contre, un rail dans la voiture, il dit pas non.

22h. L'homme se balade dans la ville. Il ne veut pas rentrer.
Il repère un bar, se gare, sort de la voiture et entre.
Il commande un double whisky, deux shots de tequila et un verre de vodka.
Ce sera sa première commande.
Peut-être que l'alcool l'aidera à mieux planer.
L'homme est ruiné. Il le sait, mais il s'en fout.
L'alcool lui permet d'oublier.
Il repassera deux fois la même commande.
L'homme pense à son ex-femme, à son mariage raté.
L'homme pense à son fils, il lui manque. Il commence à pleurer.

23h. L'homme sort du bar en titubant.
Les gorilles du gérant l'ont foutu à la porte à cause de son humeur massacrante.
"C'est pas bon pour les affaires, désolé.", qu'il lui a dit.
En regardant le décor, l'homme s'aperçoit que les notions de perspective ont changé. Il se sent mieux.
Il décide de rentrer.
Il veut ouvrir la porte de sa voiture, les clés tombent sur le sol.
Il se penche pour les ramasser, il s'éclate une partie de la mâchoire en tombant.
Il ne sent pas la douleur. Trop d'alcool dans le sang.
L'homme monte dans sa voiture, allume le contact et trace la route.

La route est mal éclairée et l'homme ne roule pas droit.

Il veut se faire une clope.
Il sort son paquet de sa poche, l'ouvre, fait tomber la clope sur le sol de l'habitacle.
Il se penche pour la ramasser.
L'homme ne voit pas le jeune se relevant au milieu de la route.
L'homme le percute, le jeune passe par-dessus la voiture.
L'homme freine de toutes ses forces. Son coeur offre un festival de percussions.
Il sort de la voiture pour aller voir le blessé.
Le jeune ne bouge pas, il git sur le sol.
L'homme se penche et regarde le visage du jeune.
Le choc. L'homme dessaoule. Retour à la réalité.

Avant de sombrer dans l'inconscience, le fils reconnaît le père.
Et le père reconnaît le fils.
Mais le père est avant tout un homme et l'homme est un avant tout un lâche.
L'homme ne veut pas avoir à supporter le poids de la culpabilité et le regard de son ex-femme.
Il reste là, pendant dix minutes, figé par l'horreur de la situation.
Le père n'avait pas vu le fils depuis des années.
Mais l'homme n'appellera pas les secours, la prison très peu pour lui.
Après tout, c'est pas vraiment son fils, se rassure-t-il.
Il remonte dans sa voiture et part, laissant le fils derrière lui.

00h00. L'homme rentre chez lui, s'assit sur le canapé et allume la télé.
Le père, pensant le fils mort, pleure.
Il se fait trois autres rails. Plus de regrets, il est temps de passer à l'acte.
L'homme prend une lame de rasoir dans la salle de bain, se coupe les veines, va se servir une bière dans le frigidaire et retourne s'asseoir devant la télé.
L'homme attend et l'homme mourra oublié de tous.

Fin de l'histoire.

mardi 31 janvier 2012

Flash Treatment

                                                        Rapport n°1

    Le patient 23 a intégré le département il y a une semaine. Il faisait preuve d'une grande agressivité à l'égard du personnel et des autres patients. Injures, violences physiques et harcèlement moral ont été exprimé à travers sa conduite. Il a fallu l'isoler le temps qu'il s'accommode à sa nouvelle vie.
    J'ai aussi pu constater qu'il était dans un état de dénutrition grave. Il n'a d'ailleurs rien mangé depuis son arrivée. A croire qu'il veut se laisser mourir. Sentiment qui s'est affirmé en l'observant plus attentivement. Toute vie semble avoir quitté son regard, comme si...
Comme s'il n'était plus qu'un pantin en attente de son maître pour être réactivé.
    Par ailleurs, son agressivité ne semble pas exclusivement tournée vers les autres. J'ai pu déceler des traces d'automutilation au niveau des bras et des jambes. Il semble aussi souffrir d'une addiction à certaines drogues. Addiction se caractérisant par un fort état de manque se caractérisant désormais par l'apparition de cauchemars et d'un sevrage.
    Quand il est arrivé pour la première fois, s'il ne tenait pas debout, j'aurai pu croire qu'il était mort.
    Il n'a toujours pas dit un mot, préférant s'enfermer dans un mutisme.
    Les semaines suivantes me permettront, je l'espère, d'en apprendre plus sur son cas.



« J'ai bien envie de violer une ado. Ça me manque ce genre de chose. », qu'il me dit tout en tirant sur sa clope.

Il la jette, l'écrase, en sort une autre de son paquet, l'allume et continue :
« Je me souviens de la dernière. C'était y a dix ans, avant qu'on m'enferme dans ce trou. Elle avait une bon cul. Ça craque a cet âge là. Suffit juste de savoir s'y prendre. »

Il s'arrête de parler et fixe le ciel pendant deux minutes.
Il souffle et me dit : « Faut faire gaffe aux hélicos, ils nous espionnent. Le pire, c'est les satellites, on peut faire que dalle contre eux. Au moins, on est à l'abri dans cette cour. Enfin, pour le moment. »

Il tire sur sa clope, la jette, l'écrase et en rallume une autre.

« J'en étais où déjà ? Ah ouais, les petites salopes que j'aimerais violer. Tu vois, à l'époque, la chasse était beaucoup plus excitante que maintenant. Je choisissais ma cible et j'attendais avec patience le bon moment. Je la choppais dans une ruelle et je lui retournais la chatte. Et si je me sentais de bonne humeur, je lui éclatais le cul. Mais la montée d'adrénaline avant l'action, ça ! C'était divin.
Maintenant avec internet, les prédateurs sexuels ne sont plus que l'ombre d'eux-même.
T'as qu'à te créer un compte sur un forum de minettes et t'as juste à te faire passer pour une de ces fiottes de rockeur. C'est beaucoup trop facile. »

Il crache par terre, renifle un coup et me dit :

- Dis-moi, t'es pas très causant comme type. Une semaine que t'es là et t'as toujours pas pipé un mot. Je connais même pas ton prénom.
- Meth.

Il, c'est Hector.
Un ancien garagiste de quarante balais, enfermé en hôpital psychiatrique, pour avoir violé une demi-douzaine de petites. J'aurais été juge, j'aurais demandé sa mort.
Mais il a décrété qu'il ne pouvait pas s'en empêcher.
Soit-disant, c'est ancré dans son code génétique.
La justice l'a donc jugé fou.

Bien qu'il ne m'ait pas beaucoup vu durant ma première semaine de séjour...

                                                                                          (La faute à l'isolation...)
Hector a décidé de lui-même qu'il serait mon mentor.
Peut-être qu'il cherche à combler un manque affectif.
Peut-être qu'il veut m'apprendre les ficelles du métiers.
Du moment qu'il laisse mon anus en paix, il peut passer le temps à mes côtés.

Ma première semaine dans l'institution fut assez brumeuse.

                                                                                         (La faute à l'isolation...)
Mais pas que...
J'étais enfermé dans mon moi profond pour éviter tout contact avec autrui.
De fait, je n'ai que quelques bribes de souvenirs.
Je me souviens surtout qu'en passant les portes de l'HP, Pirate Jet de Gorillaz, résonnait dans ma tête. La piste de synthé correspondait parfaitement à la folie environnante.
Je me souviens avoir craché à la gueule du psy, d'avoir arraché l'oreille d'un soignant et d'avoir pissé sur les sièges de la salle commune.
C'est puéril, je l'admet.
Je méritais donc ma place en isolation. Le truc, c'est qu'en plus de t'enfermer, ces connards te shootent avec des médocs avec des noms d'un autre monde.
Résultat, on m'a réduit à l'état de légume.

                                                                                        (Merci Damian...)
Me parle plus jamais de lui.
Rester enfermé pendant une semaine, attaché à un lit...
Je pensais qu'on était soigner les gens, ici.
J'ai vite compris qu'il fallait que je fasse profil bas, si je voulais qu'on me foute la paix.
Il faut que je me tire d'ici et vite.
La semaine écoulée, j'ai préféré me murer dans le silence et ils m'ont laissé devenir une des entités de la folie environnante.


                                                          Rapport n°2

    Le patient 23 a enfin quitté le secteur fermé suite à la baisse de son agressivité. Il évolue désormais parmi ses semblables. La lie de la civilisation. Une bande d'attardés, ralentis par leur médication, incapable de changer une ampoule, chacun prêt à se chier dessus au moment le plus opportun.
    Le patient 4, Hector, semble s'être pris d'amitié pour le nouveau venu. Il semble surtout vouloir entretenir une dynamique père-fils, chose qu'il n'avait pu faire avec l'enfant de la dernière femme qu'il a violé.
    Il faudra que je suive leur relation de près. Le patient 23 est toujours fragile, il peut facilement être manipulable.
    Ses nuits sont toujours aussi agités. Il semble ne faire que des cauchemars, il hurle à la mort un seul et même prénom inlassablement : « Lou ».
    Je dois savoir de qui il s'agit.


Dans la salle de garde, l'infirmière tends un petit gobelet.

« Allez, c'est l'heure de vos médicaments. »

Elle sourit, puis elle dit :

 - Allez, on ouvre la bouche et on avale les gélules pour faire plaisir à maman.
 - Ma mère était une pute. Elle suffisamment reçu de plaisir pour toute une vie, connasse.

Putain, faut vraiment que je me tire. Je fous les médocs dans ma bouche.

- N'oubliez pas votre séance avec le docteur et votre groupe de parole. Le premier est en fin de semaine et le second, aujourd'hui, après votre déjeuner. Pour le moment, vous êtes libre.
- Ouais, c'est ça.

Je recrache la merde que j'avais dans la bouche et je ris de l'emploi du mot « libre ».
On passe nos journées à déambuler dans les couloirs sans autre but que d'attendre.
Des barreaux sont vissés aux fenêtres et les portes sont fermées à clés, la nuit.
Libre ? Bizarre d'entendre ce mot quand on est dans une prison.

Il fallait que je trouve Hector, il saurait quoi faire.
Mieux, il m'aiderait.

Par chance, on m'a foutu dans la même chambre que lui à mon retour dans le secteur ouvert.
En ouvrant la porte de la chambre, je vois le violeur en train de se branler en regardant par la fenêtre.

- Ah, c'est toi, Meth ? Regarde la petite là, dehors. Un sacré petit lot.
- Tu peux ranger ta queue ? Il faut qu'on parle.

Hector s’exécute, s'assit sur le lit et attends.

 - Parle. T'as intérêt que ça vaille le coup. J'étais prêt à gicler.
- Ta gueule et écoute-moi.
- Bon Dieu. Tu t'es fais pousser des couilles ? Depuis quand tu parles autant ?
- Je cherche un moyen de quitter cet endroit.
- Tu penses à quoi ?
- Suicide.
- T'es pas sérieux, mon gars ? Tu sais, la mort c'est un peu la récompense de la vie. Je crois que tu remplisses les conditions pour accéder à ce cadeau.
- T'es complètement stone ou quoi ?
- D'après toi ?
- Bon et sinon. Deuxième solution, je m'enfuis. T'aurais une idée ? »

Hector reste perplexe et me dit :

- Pourquoi ? T'es pas bien ici ? C'est le seul endroit sur Terre qui nous accepte tel qu'on est.
- Tu parles ! J'ai rien à faire ici. On m'a emmené ici de force. Faudra que je passe remercier le connard en question quand je serais sorti. Bref, t'as pas idée !
- Honnêtement, j'y ai jamais vraiment réfléchi. Je me sens plutôt bien ici. Et j'ai enfin trouvé un ami.

Je regarde par la fenêtre. La chambre se situe au premier.
Je pourrais passer par la fenêtre mais le grillage...

                                                                                         (Cruciforme ?)
Putain, merci !

 - Dis-moi, Hector. Avec un tournevis, on pourrait retirer le grillage. Tu sais pas où je pourrai en trouver un ?
- Si. Dans la boîte à outils de l'électricien. Il doit changer les ampoules du séjour, mais il la trimbale toujours sur lui. Je vois mal comment lui prendre.
- On lui casse la gueule.
- Vu ta corpulence, mieux vaut que je m'en occupe moi-même. Tu m'en devras une vu qu'avec ce coup, je suis bon pour le secteur fermé.
- T'inquiète.

On sort de la chambre, on marche côte à côte, on arrive dans le séjour.
L'électricien se fait un café. Sa boite est posée sur la table.
Hector arrive par derrière, le choppe, l'étrangle.

- Mais bordel ! Je t'ai jamais demandé de le buter.
- Bof. De toute façon, je suis fou, non ? Et il est pas mort, relax. Il fait juste dodo. En plus, j'aime pas les électriciens. Allez, prends ton tournevis et casse-toi, l'ami.

C'était la dernière fois que je voyais Hector. On dit qu'il s'est pendu dans sa chambre en secteur fermé. Enfin... Il paraît qu'il s'étranglait en se branlant en même temps. Je préfère cette version, perso.

En rentrant dans la chambre, je décide de me recueillir un moment sur Ta photo.
Mais je ne la retrouve plus. Bizarre.
Je dévisse les deux vis du bas du grillage.
Plus que deux.


                                                       Rapport n°3

    Le patient n°4 est mort dans sa chambre, la nuit dernière. On l'a retrouvé pendu, le pénis à l'air libre. Il tenait dans sa main gauche la photo d'une jolie jeune femme. Au verso de l'image, un mot est écrit : « Lou ». Le patient ne dois jamais rien apprendre à ce sujet.
    D'ailleurs, ce dernier ne semble pas être affecté outre mesure par le décès de son compagnon de chambré. Intriguant.


Mes sentiments ont disparu le jour de ta mort. La mort d'Hector ne m'a pas fait beaucoup d'effet.
D'un côté, je le connaissais pas très bien. Ou je me force à penser ça pour éviter la peine.
Cependant, une variable entre en compte désormais. La solitude.
Seul, sans point d'appui, je revis à chaque moment mes souvenirs.
Heureux comme douloureux.
Ces derniers temps, j'ai l'impression d'être devant un épisode best-of d'une sitcom.
Sauf qu'ici la tristesse côtoie le bonheur.
Je passe mes journées à errer dans les couloirs, comme un fantôme rattaché de force à sa demeure.

Le tournevis ne fonctionne pas sur les vis du haut. Je pense pas être encore prêt à me tirer d'ici.

Un jour, la porte d'une pièce que je n'avais jamais vu était ouverte.
Dedans, un patient qui m'était inconnu, était en train de peindre une fresque morbide à base de corps brûlés et d'enfants offerts en sacrifice à des titans vêtu de noir.
J'étais fasciné par cette peinture d'une horreur indescriptible.

- T'inquiète, ils l'effaceront ce soir, comme à chaque fin de semaine. Je peins une fresque et ils repassent en blanc. Et c'est le même refrain chaque semaine. Mais ils me laissent le droit de peindre car c'est tout ce qu'il me reste.
Je m'appelle Raphaël, mais on m'appelle Klimt dans le coin. Non pas que j'ai la prétention de peindre comme lui, mais le chef de service ne connaît que ce peintre.
Et toi, tu es ?
- Personne. Je cherche juste un cruciforme.
- Il y en a un dans ma boîte. Sers-toi.

Raphaël a le même âge que moi, mais est interné ici depuis 10 ans.
Il m'a appris qu'il avait délibérément foutu le feu à ses parents parce qu'ils voulaient l'empêcher de peindre.
J'ai préféré quitter la salle, sans oublier l'objet de la liberté.

Aujourd'hui, c'est groupe de parole. Un des moments de la semaine que j'attends le moins.
Une pseudo cour des miracles entretenu par un clown de l’État.
Mais avant ça, je devais passer un coup de fil à l'enfoiré qui m'a enfermé.
À l'accueil, je décroche le téléphone, je compose le numéro et j'attends.

« Nous sommes désolés, mais ce numéro n'est pas attribué. »

C'est quoi ce bordel ?

                                                                                      (ça sent pas bon...)
Il m'entube et ensuite il disparaît...
Raison de plus de quitter cet endroit et de traquer cet enculé.
Une heure plus tard, le groupe commençait.

On est quatre patients sans compter le psy.
Il y a deux nanas et un autre mec.
Les deux nanas sont pas très chiantes. Le cliché des nanas battues et violées.
Le genre à se scarifier les avants-bras, à sniffer de la coke, à crier à l'horreur de la vie et à s'habiller comme des salopes.
Et après, ça s'étonne de voir la tronche de M. Phallus au coin de la rue.

Le type, par contre, je peux pas l'encadrer. Un sale hippie de merde qui s'est fait griller la cervelle à force de se shooter. Complètement psychotique, le pauvre gars.
Il est persuadé d'être l'envoyé de Dieu le père et qu'il est là pour nous ouvrir l'esprit.
D'ailleurs, chaque semaine, on a le droit à son monologue sur le fait que la société nous annihile, qu'on vit tous des boîtes, des « box » comme les chevaux,
que nous sommes les mules, les pompes à frics des grandes entreprises ;
qu'il faut revenir à une vie plus simple,
que la loi ne protège que les riches,
et que blablabla et ça continue comme ça pendant vingt bonnes minutes.
À force de l'entendre, je le connais presque par cœur son putain de discours
et à chaque fois, je me dis qu'à force de rester ici, je vais finir par y croire.
Au moins, il m'évite de participer.

La séance terminée, je rentre dans ma chambre et tente d'enlever une des deux vis du haut.
Ça marche. Fugue programmée à demain soir.
Je me couche.
Le lendemain matin, je me réveille et je me rends compte que j'ai pissé dans mon lit.
Je régresse, c'est pas bon.


                                                  Rapport n°4
   
    Deux mois ! Deux mois que le patient 23 est arrivé ici de  son plein gré et pourtant il ne montre aucune volonté de coopération.
    Il ne parle pas pendant nos séances ou pendant celles du groupe. Les informations notables, telle que la mort de sa fiancée, sont fort heureusement consigné dans son dossier. Mais le patient ne m'en a toujours pas parlé de lui-même.
    J'espère qu'il changera rapidement d'avis.



On frappe à ma porte. Une infirmière entre.
« Vous avez rendez-vous dans une heure avec votre thérapeute. Vous devriez vous préparer. »

Elle ne fait pas attention à l'état de la grille.
Je me lève de mon lit.

- Mais vous avez mouillé votre lit ! Va falloir changer vos draps.
- Vous inquiétez pas pour ça, c'est inutile.

Je m'habille directement, je me suis pas lavé depuis une semaine, mais ça aussi c'est pas très utile.

Je quitte la chambre. Une heure à tuer avant de palabrer avec l'ami Freud.
Je sors dans la cour, je m'éclate une clope.
À  la fenêtre du premier, les autistes sont en plein atelier.
Aujourd'hui, c'est gymnastique.

Je vais au réfectoire, je prends mon petit-déjeuner, je fous mes médocs dans le gobelet de mon voisin.
Le surdosage lui permettra peut-être d'oublier où il est, si ce n'est déjà fait.

Je me dirige vers le bureau du doc, je frappe à sa porte : « Entrez. »
Je tourne la poignet et entre dans la pièce.
Je m'installe à l'endroit habituel.

Un bureau de psy dégage toujours une forme de chaleur.
Comme si le mobilier criait « Aime-moi ».

Des gros clubs en guise de fauteuils, la possibilité de fumer confirmé par la présence de cendriers un peu partout dans la pièce, une photo de sa famille sur son bureau pour appuyer le côté père symbolique aux yeux des patients.
Derrière le doc, une bibliothèque remplis de gros bouquins reliés, chacun devant peser un bon gros kilos et sensés représenter de façon métaphorique, la connaissance.

Voilà ce que j'ai retenu en deux mois de thérapie, sans avoir dit un seul mot.
Mon psy n'est qu'un papa se pensant tout puissant grâce à sa culture.
Culture ayant l'air d'être du vent.
Beaucoup de gens critiquent l'analyse à cause de la place donnée à la mère.
Enfin, c'est ce que m'a dit Hector.
Moi, je crains rien de ce côté là.
Enfin, je crois.

Le doc se lève, s'installe en face de moi, me regarde.
Il commence toujours ses séances en posant la même question :
« Qui est Damian ? »
Et le désintérêt que j'ai pour cette question me pousse à l'ignorer.

Je regarde par la fenêtre :
- C'est une belle journée qui s'annonce.
- Et pourquoi ça ?
- Elle est annonciatrice de beaucoup de changements.
- Et qu'entendez-vous par changement ?

Je ne réponds pas. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai envie de lui mentir.
Puis je me dis à quoi bon ?

« Je vais vous raconter une histoire. Je vous prie de ne pas me couper.
Un jour, un enfant naît. Sa mère, camée, faible, préfère l'abandonner.
Il passe les premiers mois de sa vie dans un orphelinat.
Un jour, un couple plutôt sympa décide de l'adopter, de lui torcher le cul quand ses culottes étaient sales, de le scolariser, de le soutenir jusqu'à la fin de sa vie.
Il pensait avoir trouvé un foyer. Quelle blague !
À ses 17 ans, à cause d'un plan foireux de son ami Damian, les flics le choppent et le coffrent pour détention de drogue.
Ses « parents » ne sont jamais venu le chercher et il a fini en maison de correction.
Il aurait pu être n'importe qui. Une star, un chanteur, un génie des maths.
Pourtant cet enfant possède une intelligence médiocre.
Il est faible, mythomane sur les bords et possède la faculté de ne jamais finir ce qu'il commence.
La femme de sa vie est morte par sa faute et cet enfant, lui, a survécu et se retrouve aujourd'hui en face de vous.
Alors que je pleurais sa mort, cet enfoiré de Damian a décidé, de lui-même, de m'envoyer ici.
Un endroit mort où il ne se passe rien,
où la seule activité créatrice est la compulsion masturbatoire des autistes du premier étage.
Merci, Damian. »

Le doc me regarde et dit :

- Qui est Damian ?
- C'est tout ce que vous retenez de mon histoire ?
  Et vous ne comprenez pas pourquoi on vous traite de charlatan ? La séance est terminée.

Je me lève et claque la porte. Vivement l'arrivée de ces changements.


23h. Le service est endormi. Il est temps de passer à l'action.
Je dévisse la première vis du haut, laisse la grille tomber, dégageant ainsi la voie pour atteindre la fenêtre.
Je me trouve à deux mètres de la liberté.
Seul problème la fenêtre n'a pas de poignet.
Pas de chaises à balancer, aucun objet contondant.
Une seule solution, le poing.

En pétant la vitre, une alarme retentit dans la nuit.
Pas grave, je me tire. Adieu.

Je saute du premier étage, m'écorche les genoux en tombant.
Je suis sur la parking avec pour seul vêtement, un pantalon de pyjama.
Je me dirige vers la sortie, la liberté.

Quelque chose brûle au fond de moi.
La joie me pousse à courir. Je pleure et je ris en même temps.
Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais vivant.
J'escalade la grille et me retrouve dans la rue.

Seul, complètement hagard, je m'agenouille un moment sur le bitume et je souffle un coup.
Et je ris. Et je me relève.

Exister. Une des plus belles des sensations que j'avais oublié depuis longtemps et que j'ai retrouvé en fuyant l'HP. Mais qui m'a tout de suite été retiré.

Manque de bol, la bagnole que j'attendais, il y a huit mois, a décidé de me percuter ce soir-là.

jeudi 1 décembre 2011

Epitaph


Née de parents catholiques, Lou m'a quitté à l'âge de 24 ans.

Tes parents, traditionalistes, n'écouteront pas ta dernière volonté. Ils ne la connaissent pas. Ils ne te connaissaient pas.

Je me souviens de ton sourire, de ton habitude de toujours dormir nue, de ta façon de me caresser les cheveux quand tu te réveillais avant moi, de ton habitude de te mordre la lèvre quand tu réfléchissais, de la fois où tu m'as demandé si notre relation serait éternelle, de ta façon de m'embrasser comme si chaque fois serait la dernière.
Mais ce qui marquera à jamais mon âme, c'est ton coin de paradis, celui où tu m'as emmené le jour où tu m'as laissé te faire l'amour pour la première fois. Un havre de paix perdu dans la forêt où tu aurais aimé qu'on disperse tes cendres, le jour où tu disparaîtrais. Histoire de pouvoir reposer dans une paisible solitude, là où tu es née pour la seconde fois. C'est en gros ce que tu avais dit. Je n'ai pas la prétention de parler aussi bien que toi.

Tes parents ne savent rien de ça, ou alors ils préfèrent tout simplement l'ignorer.
Ils ont préféré t'enterrer six pieds sous terre, enfermée entre quatre planches. Ils doivent se dire qu'en installant une tombe dans un cimetière et un autel dans leur salon, ils rempliront le devoir de tout bon parent. En te fixant à la réalité pour l'éternité, ils ne t'oublieront jamais.
Ils sont un peu cons, tu restes leur fille, mais ne leur en veux pas.
Si tu dois blâmer quelqu'un, blâme-moi.
Si tu te retrouves dans cette boîte à pourrir et à te faire bouffer par les asticots, c'est ma faute.
Tu dors à jamais et je m'en voudrai le restant de mes jours d'être resté en vie.
Mon corps persiste, mais l'étincelle de vie s'en est allée.

Le flic qui m'a récupéré au milieu de la route, le soir de la fin de mon monde, m'a dit qu'on appelait ça : « La culpabilité du survivant ».
Il l'a dit comme si c'était une évidence, comme si ce qui m'était arrivé n'était qu'une banalité de plus dans sa merdique vie de fonctionnaire.
Il l'a dit sans aucune compassion alors qu'il tirait sur Dunhill.
Encore une excuse de l'humanité pour ne pas avoir à porter le fardeau de la mort d'autrui sur sa conscience. Ça me rappelle la religion, ces conneries.
En me déposant à l'hosto, il me dit en partant : « T'en fais pas mon petit. Une de perdue, dix de retrouvées »...

Cette phrase ne m'a pas quittée depuis ce soir-là. Et à partir de là, ce fut la descente aux enfers.
Tes parents ont mis un mois avant de se décider à t'enterrer. Tout ça parce qu'ils voulaient que toute la famille puisse être présente, quitte à payer des frais pour te garder en chambre froide.
Ce fut le mois le plus long de ma vie.





Déni.

Le pire durant un deuil, ce sont les habitudes.
Les habitudes que l'on a prises à force de vivre avec l'autre.
Les habitudes qui reviennent plus fortes car notre inconscient ne veut admettre qu'il y a une faille qui ne pourra plus jamais être refermée.

Les semaines avant l'enterrement ont été les plus dures.

Chaque matin, je me réveille en espérant te retrouver à mes côtés, mais le lit reste désespérément vide. J'installe la table pour deux, je prépare le déjeuner pour deux. Je n'arrive pas admettre que je suis seul. Ta présence habite notre appartement et mes pensées.
J'appelle ton portable plusieurs fois par jour juste pour entendre ta voix sur le répondeur, dernière trace de ton existence.
J'ai l'impression de te voir dans le visage de chaque fille que je croise.
Je vais sur ton lieu de travail en me disant que tu seras peut-être là, en train de déjeuner seule.
Cette solitude que tu cultivais me manque.

Chaque soir, je reste planté devant la porte d'entrée en me disant que si je compte jusqu'à dix avant de l'ouvrir, tu seras là, à m'attendre nue dans la chambre.

Chaque matin, je me réveille en me disant que tout ça n'était qu'un rêve.
L'accident, ta disparition, et cette semaine passée dans le brouillard, sans toi à mes côtés.
Je me dis que tout ça n'était qu'un mauvais rêve et que tu m'attends tranquillement dans la cuisine en train de préparer le p'tit-déj'.
Et chaque matin me renvoie à cette réalité improbable, car moi sans toi égal rien.

Je n'ai pas voulu prendre part aux délibérations quant au choix du cercueil, des fleurs et de toutes ces conneries qui vont avec.
Je ne pouvais pas, tu me comprends.
Je n'ai même pas eu la force de venir te voir le jour de l'enterrement alors que tu dormais tranquillement au fond des locaux des pompes funèbres.
Tes parents ont expliqué aux personnes présentes que l'enterrement se déroulerait en trois temps :
Pompes funèbres – Église – Cimetière.
J'ai déjà foiré le premier.
Je n'ai pas pu supporter de t'imaginer exposée à la vue de tous dans ton cercueil, derrière une vitre.
Devoir traverser ce long couloir blanc, impersonnel, puant les liquides pour morts pour voir un cadavre... Je n'en ai jamais compris l'intérêt.
Et même si ce cadavre qui m'attend au bout c'est toi, cela reste au-dessus de mes forces.
Tu l'as toujours su. Sans toi, je suis faible.





Colère.

Putain.
On me demande souvent si je vais bien et je réponds que oui.
Et même si je sais que je mens, je sais que ça leur fait plaisir et au moins ils me foutent la paix.

Cette culpabilité s'est vite transformée en regret, puis en dégoût et finalement en haine.
Une haine de soi incommensurable qui ne semble jamais s'éteindre.

J'ai détruit tous les miroirs de notre appartement, j'ai jeté toutes les photos de moi, tout ce qui pouvait me renvoyer à mon propre physique.
Je ne pouvais plus supporter de voir le reflet d'un assassin dans la glace.

Là où tu es, si tu comptes me pardonner un jour, ne le fais pas. J'accepte ce qu'il m'arrive.

(Après tout, tu le mérites... )

C'est vrai.
Après tout, je le mérite.
A chaque erreur, sa punition.
Si la mienne est de me haïr pour le restant de mes jours, ainsi soit-il. Amen.

J'ai pris l'habitude de m'exploser le crâne à coup de rails de coke, de me piquer de temps à autre, de me scarifier, de chercher la merde avec la racaille du coin pour me faire défoncer la gueule. Tout est bon pour me détruire.
Je l'ai dit. A chaque erreur, sa punition.
Je me ferai souffrir autant que tu as souffert.
Et si ma souffrance doit passer par le rejet total de ce corps et de ce visage, ainsi soit-il.

(Amen...)


La route est longue jusqu'à l'église, interminable.
Le corbillard, noir comme la mort, avance lentement le long de la rue. Les personnes en deuil accompagnent la marche funèbre, l'infanticide la ferme.
Les pleurs, les cris, les râles donnent l'accord.
Je préfère rester à l'écart. Loin de toi. Je ne te mérite plus.
Tes parents me tiennent responsable de toute cette merde.
Ils auront beau me pisser dessus, je leur rendrai la pareille.

On arrive à l'église. Ton père me regarde dans les yeux. Son regard crie : «  Tout est de ta faute ».
La haine se répand sur son visage. Il sert le poing.
Il me demande de porter le cercueil à l'intérieur avec lui.
Pour la première fois depuis un mois, tu es de nouveau à mes côtés.





Marchandage.

Je pensais avoir perdu la foi après ta...
Non... Je n'ai pas encore la force de le dire.

Je pensais avoir perdu la foi et pourtant je me suis retrouvé à prier.
Prier pour que tu me reviennes,
pour que tu te réveilles et que tu te lèves de cette boite dans laquelle on compte t'enfermer,
pour que mon Apocalypse ne soit jamais arrivée,
pour que quelqu'un m'aime à nouveau,
pour que je ne sois plus seul
et pour que je puisse te revoir au moins une dernière fois. Juste une fois.
Si tu savais comme je m'en veux. Mais évidemment, aucune réponse d'en haut.
Qui aiderait un meurtrier alors qu'Il a balancé à Moïse : Je suis qui Je suis.
En gros, je peux me brosser pour que Tu m'entendes.

Je retourne de temps en temps sur les lieux de l'accident,
je m'allonge à l'endroit exact où tu t'es éteinte en implorant quelqu'un, quelque chose ?
Pour qu'on échange nos places, je vendrais mon âme.
Tu méritais de vivre, pas moi.
Tu méritais de vivre car tu as su trouver quelque chose de bon en moi que je n'avais supposé jusqu'alors.

Que me reste-il ici-bas ?
Que nous reste-il ?

La messe s'ouvre sur Heavy Pop de Wu Lyf.
Un choix de ta sœur. Je lui en suis reconnaissant.
Ça me rappelle de bons souvenirs. C'est douloureux mais c'était des jours heureux.

Le prêtre commence sa logorrhée. Un tissu de mensonges visant à apaiser la conscience du badaud.
Il dit que désormais tu es dans un monde meilleur, le monde de Jésus Christ. Blablabla.
Ce n'est pas difficile vu l'état du mien.
Il dit que même si tu es... , tu veilleras toujours sur nous comme... un putain d'ange gardien ?
Comme si j'avais besoin de ça en ce moment.
Ton père prend sa place et commence son discours.
J'arrête d'écouter.




Dépression.

La dernière semaine avant l'enterrement a été la plus dure.

J'ai récupéré le revolver du grand-père.
Je l'ai chargé d'une balle et chaque matin j'ai une chance sur six de te rejoindre plus vite.

J'ai perdu l'appétit. Tout ce que j'avale laisse un goût de merde dans ma bouche.
J'ai perdu dix kilos sur les soixante que je pesais.

Je ne dors plus la nuit tellement je suis abruti par les drogues.
Mais ça me permet de te voir, même si ça n'est qu'une illusion, même si ça n'est qu’éphémère.

Je marche des heures sans savoir où aller, sans but précis, juste pour ne plus penser.
Je regarde les gens sans les voir, ils me parlent mais je ne les écoute pas.
Je marche à leurs côtés, pourtant je ne suis plus vraiment là.

Tout ressemble à un lendemain de cuite.
La vie est lente, la vie est chiante.
Comme si le reste du monde était shooté à la morphine et qu'on prenait conscience de ce qu'est vraiment la réalité.

J'ai commencé à boire. J'écume les bars, parfois je me réveille dans la rue, parfois au poste.
Je ne fais plus attention à rien et surtout pas à ma propre vie.
Enfin, c'est ce que j'aimerais me dire.
J'ai essayé de trouver un moyen plus rapide de me suicider.
Mais j'ai peur de souffrir en mourant, alors j'en ai pas eu le cran.
Même pour ça, je suis un lâche. Tu me manques.

Le corbillard se dirige vers le cimetière.
Il pleut. Comme si la concentration de rage, de haine et de tristesse en un même point terrestre avait entraîné une sorte de déclic.
La marche continue pour se diriger vers la cour du Roi Pourpre, le lieu de désolation et de fatalité, la maison des morts.
(Terminus, tous les passagers sont invités à descendre...)

Le corbillard entre dans le cimetière, avance encore un peu et s'arrête à côté de ton trou fraîchement creusé dans la terre. Il s'arrête à côté de ta future tombe.
Le chauffeur sort, ouvre le coffre et t'installe pour l'enterrement.




Acceptation.

Le prêtre lève les bras au ciel. La pluie cesse.

Il balance un dernier serment sur l'être aimé, sur la vie après la mort et commence à parler de poussière. Ces conneries me fatiguent.

Le prêtre dit : « Repose en paix, mon enfant. »
Et le cercueil commence à s'enfoncer dans les ténèbres.
Et une peur sourde m'envahit. Ma gorge se noue. Je tremble.
Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive.

Ton père s'avance, plonge sa main dans la terre devenue boue et lance sa poignée dans le trou,
sur ton cercueil.
Ta mère fait pareil, ainsi que le reste des gens présents.
C'est mon tour et quand je prends la poignée, mon bras ne veut plus m'obéir.
Et quand je lance la boue, mon cœur se fait poignarder.

J'ai compris maintenant.

J'ai cru à tort que l'amour faisait tourner le monde, qu'il nous permettait de rester debout quand tout autour s'effondrait. Quelle connerie.
La tristesse et la colère sont des sentiments plus violents.

Je m'éloigne un peu du cercueil.
Les larmes commencent à couler, enfin.
Je tombe à genoux, je crie, je hurle, j'implore une dernière fois.

Et j'accepte.
Tu es morte, c'est fini.
Ça fait du bien parfois de pleurer dans ce monde de merde.

Ça m'emmerde de t'aimer.
Tu peux pas t'imaginer à quel point.

mardi 30 août 2011

C0DEX

Pour Lili.


(Tic-tac, tic-tac…)

Le néant.
L’obscurité m’entoure. Il n’y a plus rien, sauf le silence. Je ne peux pas bouger, je ne peux plus bouger. Le temps s’est arrêté. Je ne respire plus, je n’entends pas mon cœur battre. Le temps d’une seconde la Terre s’est arrêtée de tourner pour moi.

 Puis un bruit…

Un bruit lent, lascif, lassé. Dong ! Dong !
Il se répète inlassablement dans les ténèbres. Il ne s’arrête pas. Il veut me ramener à la réalité.
Et je reprends conscience de mon corps. Ma tête me tue. Comme si on me brûlait le cerveau de l’intérieur. La même sensation que des coups répétés de marteau dans la gueule.
Mon bras droit me lance. J’ai l’impression qu’il est passé dans un broyeur.

(Tic-tac, tic-tac…)

Où suis-je bordel ?
Je peux sentir le sang s’échapper de mon corps. J’ai son goût dégueulasse dans la bouche. J’essaie d’ouvrir les yeux. Le gauche est foutu.

Dong ! Dong !
J’essaie bordel.
J’ouvre l’œil droit. Je vois un bouton clignoter. J’essaie de l’atteindre avec mon bras droit. Quel con. Je veux crier de douleur mais aucun son ne s’échappe. Mon os est sorti. Et le chaos régnant dans mon esprit n’arrange en rien.
Si je suis en enfer, tuez-moi maintenant.

Dong ! Dong !

J’essaie la manœuvre avec l’autre bras, mais mon corps ne veut
                                                                                                      (peut ?)
                                                                                                                      pas bouger.
Je tends le bras. Je tousse, je crache du sang, mais j’atteins ce foutu bouton.
Mais ce n’est qu’une simple lumière montrant qu’une portière est ouverte.

(…)

Une portière ?

Oh Mon Dieu… Puis je me souviens.
Lou. Le dîner chez ses parents en campagne. Le verre de trop. Il est l’heure de rentrer. Le retour sur Paris. L’autoroute A5. La voiture. Elle me regarde avant de prendre la place du mort.

(Tic-tac, tic-tac…)

Elle me sourit, elle me dit que ses parents m’apprécient, que mon passé les importe peu, que ce qui compte à leurs yeux, c’est l’importance que j’accorde à leur fille.
Elle rigole, me regarde à nouveau, me dit qu’elle m’aime.
J’ai peur, je sens venir une conversation importante.
Elle me dit qu’elle a trouvé un boulot qui paie bien, qu’elle voudrait qu’on passe à l’étape supérieure.

(Tic-tac, tic-tac…)

Elle parle de trouver un appart’, elle veut qu’on habite ensemble. Elle me demande si je suis prêt à sauter le pas. Je ne réponds pas, je flippe.
Elle commence à parler de projet d’avenir, d’avoir des enfants, de se marier.
Pas nécessairement dans cet ordre-là.
Elle me dit que son père est prêt à m’employer. Ce serait un petit poste au début, mais si je fais mes preuves, je pourrais aller loin.
Je lui dis que je me fous de la charité de son père. Pourquoi je dis ça ?
Elle est choquée. Elle ne dit rien et recommence avec son histoire de gamins.
Je m’énerve, lui lance que je ne suis pas prêt pour ça, que je ne veux pas avoir de gosse dans une vie aussi merdique, que je suis pas un mec qui cherche à s’installer, et que ça m’étonnerait que ses parents apprécient le mec qui écarte les jambes de leur fille chaque soir avant de dormir. Je lui sors le coup de la claustrophobie, lui dit que je ne peux pas vivre sans mon espace vital.
Je suis une merde, je le sais.

Elle pleure. Elle s’énerve à son tour. La dispute éclate. Elle me dit que je ne suis qu’un gamin, qu’il est temps que je grandisse, que la vie est remplie de petits sacrifices avant d’atteindre la voie du bonheur. Elle ajoute que je suis bien placé pour le savoir avec la vie merdique que je me trimballe. Je lui réponds que tout ça ne m’intéresse pas, que je préfère encore me complaire dans ma vie de raté.

Je la regarde. Je ne vois pas la bretelle de sortie. La voiture percute la barrière de sécurité.
Un tonneau. Sa ceinture lâche. 
                         Deux tonneaux. Elle traverse le pare-brise.
                                                                                           Trois Tonneaux. Rideau.
           
(Tic-tac, tic-tac…)

Je me souviens et je comprends.
Si mon corps ne peut plus bouger, c’est parce que je suis attaché à mon siège dans une épave retournée sur la bande d’arrêt d’urgence. La ceinture ne veut pas lâcher son emprise. Plus je bouge, plus l’étreinte se resserre. L’essence s’écoule du réservoir et vient remplir l’habitacle.
Je suis piégé et je ne peux rien faire.
Je veux crier, hurler, mais aucun son ne sort. Le sang a élu son domicile et ne veut pas partir.
Quelque chose brille à côté de moi. Un morceau du dernier album de Radiohead.
Son préféré du moment. Elle voulait écouter Codex en chemin.
Je l’attrape, coupe ma ceinture. Tout mon corps tombe et s’écrase contre le plafond de la carcasse. Mes jambes n’ont rien. Dieu merci.
Je rampe hors de la voiture à l’aide de mon seul bras valide et me traîne jusqu’à la barrière.
Je suis aussi blessé à la tête et aux côtes.
Respirer est comparable à une dizaine de coups de couteaux simultanés que je reçois dans le bide.
J’essaie de me lever. Je tombe.
J’essaie à nouveau, ma tête tourne, je vomis. J’ai perdu trop de sang.

(Tic-tac…)

Tout autour, les ténèbres. La lumière faiblarde des lampadaires est inutile.
Je tourne la tête et discerne une forme, à une dizaine de mètres, gisante sur le sol.
Je me dirige comme je peux vers elle. Je trébuche sur quelque chose, je tombe à nouveau.
Le sol est mouillé. De l’eau ?
Je porte ma main à mon visage, je reconnais l’odeur. Mon cœur se brise.

J’attrape ce qui m’a fait tomber. C’est lourd. Je me concentre pour comprendre ce que c’est. Une jambe… Je vomis. Lou ?

(Tic-tac…)

Le sifflement dans mes oreilles s’amenuise.
Je peux entendre le tonnerre gronder. Un éclair déchire le ciel. Lou !

Mes jambes ne répondent plus.
La forme à quelques mètres ne bouge pas, ne bouge plus.
Je rampe dans son sang. Rien à foutre de mon bras, je sais qu’elle m’attend.
Je rampe et jamais le temps ne m’a paru aussi long.

(Tic…Tac…)

J’arrive à sa hauteur, mais je sais déjà ce qui m’y attend. L’espoir a quitté la boîte de Pandore.
Malgré l’obscurité et le tonnerre, je peux entendre sa faible respiration.
Je prends ce qui reste d’elle dans mes bras.
Une partie de ses cheveux a été arraché laissant une plaie béante à la vue de tous, un bout de tôle est enfoncé dans son sein droit. Le sang coule à flot de sa jambe amputée.
Elle serre sa main dans la mienne. Elle me regarde.
Elle me dit tout bas :

« Tu es tout sale, Meth… »

Je ne dis rien. Mes pensées s’emmêlent, la confusion s’empare de moi.

(Tic…)

« C’est pas grave, mon chéri. C’est pas ta faute, c’est pas ta faute… »

Ma gorge se noue. Elle porte son autre main à mon visage. La manœuvre lui fait cracher du sang. Elle m’embrasse.

(Tac…)

Le tonnerre gronde, la pluie tombe.

« C’est pas ta faute, Meth… »

Les larmes montent, mais la pluie touchant mon visage les camoufle.

(Tic…)

Elle me sourit. Pas avec sa bouche, mais avec ses yeux.

« Soit fort… Et n’oublie pas, c’est pas ta faute… Je t’ai… »

Sa main touchant mon visage tombe, l’autre desserre son étreinte, sa respiration s’arrête, son torse ne se soulève plus, ses yeux se ferment, son cœur ne bat plus. Elle ne souffre plus.
Sa vie l’a quittée, emportant la mienne avec.
Cette route est désormais hantée.

(Tac… Tout est fini.)

Bien sûr que tout est de ma faute.
Mon cœur saigne, il devient pierre.
Ma seule protection, celle qui m’a servie des années durant, le refoulement.

Ma raison d’être n’est plus. Je barre le mot « bonheur » au feutre noir. Le fond je l’ai touché du bout des doigts durant quelques années, mon âme n’en gardera que la forme.

Dans la plupart des films américains, le héros crierait son désespoir en regardant le ciel.
Il demanderait « Pourquoi ? » en apostrophant Dieu. Ce n’est pas ma réalité.
Ma foi ou le peu qu’il m’en restait n’est plus.
Pas de cris, pas de rage, juste de la tristesse et une pointe de défaitisme.
Demain, les gens la pleureront mais dans un mois, ils auront déjà oublié.
Moi, j’y penserai toujours.
Là est la douleur de ne pas pleurer car pleurer c’est évacuer son chagrin par tous les pores.
Je ne peux m’y résoudre. Je ne veux l’oublier. Et ce chagrin sera ma pénitence.
Si mon corps persiste, mon âme n’est plus.

Les bruits disparaissent, les voix dans ma tête se taisent, mes pensées s’évanouissent.
Il ne reste plus rien.

Je l’embrasse une dernière fois. Adieu.
Je la repose sachant que ce contact sera le dernier. L’amour, les projets d’avenir, les enfants, vieillir ensemble… Tout ça pourra se dérouler dans une dimension parallèle.
La mienne ne sera que dépression.

Je m’allonge sur le bitume. Peut-être qu’une voiture daignera m’éviter ce futur de souffrance qui se construit devant mes yeux.
Le néant, l’alcoolisme, la drogue, la folie, les nuits à errer sans but, à se prendre des coups de lattes dans la gueule. Tout sera bon pour s’évader.
Je m’allonge et j’attends. La pluie lave mes plaies. Mais la plus grande est en moi.
Intouchable, invisible, elle ne se refermera jamais.
Certains appelleront ça l’état de choc.

J’attends mais rien ne vient. Il n’y a que la pluie, ma souffrance et moi.
Pas grave, j’ai toute la nuit devant moi.

(No one gets hurt…)




Ah. Ah. Merci Thom York.